Cinéma

La fréquentation des salles obscures s'est légèrement améliorée cette année par rapport à 1994 grâce aux bons scores obtenus dans les villes de province et à la présence, comme il y a deux ans, de films hexagonaux porteurs : les Anges gardiens, de Jean-Marie Poiré, qui vise le succès des Visiteurs, et Gazon maudit, de Josiane Balasko, film attachant sur la bisexualité. Au début du mois de décembre, ces deux mastodontes étaient en tête du box-office. Si le Hussard sur le toit, de Jean-Paul Rappeneau, déçoit un peu par sa septième place, on remarque, en revanche, l'excellent score d'un outsider, la Haine, de Mathieu Kassovitz, placé juste derrière. Les Américains ne nous ont pas donné, en 1995, des œuvres grand public aussi puissantes que Philadelphia, de Jonathan Demme, ou la Liste de Schindler, de Steven Spielberg. Le premier film états-unien, qui arrive troisième au classement annuel, après Gazon maudit, est Une journée en enfer, de John McTiernan, troisième séquelle de Piège de cristal, suivi de Stargate, de Roland Emmerich, aimable saga science-fictionnelle. En l'absence d'un phénomène comme Quatre Mariages et un enterrement, de l'Anglais Mike Newell, les dix premières places du box-office sont uniquement franco-américaines.

Les plus gros succès de l'année (milliers d'entrées à Paris)

Les Anges gardiens (Fr) 840

Gazon maudit (Fr) 785

Une journée en enfer (É-U) 718

Stargate (É-U) 656

La Haine (Fr) 608

Usual Suspects (É-U) 519

Les 101 Dalmatiens (É-U) 477

Coups de feu sur Broadway (É-U) 465

Le Hussard sur le toit (Fr) 456

Elisa (Fr) 454

Waterworld (É-U) 446

Pocahontas (É-U) 405

Apollo 13 (É-U) 398

Harcèlement (É-U) 396

Petits Meurtres entre amis (G-B) 393

Sur la route de Madison (É-U) 390

Casper (É-U) 380

Nelly et M. Arnaud (Fr) 364

Alerte (É-U) 354

La Cité des enfants perdus (Fr) 352

Bad Boys (É-U) 352

Nell (É-U) 343

La cérémonie (Fr) 314

Batman Forever (É-U) 310

Lancelot (É-U) 301

Frankenstein (G-B) 285

Prêt-à-porter (É-U) 270

Judge Dredd (É-U) 244

L'Appât (Fr) 235

L'Année Juliette (Fr) 227

Braveheart (É-U) 224

Les Misérables (Fr) 217

Streetfighter (É-U) 214

Une femme française (Fr) 213

Quiz Show (É-U) 210

Mortal Kombat (É-U) 207

Highlander III (Fr) 206

Carrington (G-B) 206

Juste Cause (É-U) 205

France : l'affirmation d'une nouvelle génération de cinéastes

La renaissance du cinéma français ne se mesure pas exclusivement au bon score des Anges gardiens et de Gazon maudit. On y note l'apparition et/ou l'affirmation de jeunes cinéastes dont les travaux atteignent un public assez large. Ainsi, le Festival de Cannes sélectionna trois seconds films en compétition : la Cité des enfants perdus, de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, la Haine, de Mathieu Kassovitz (prix de la mise en scène), et N'oublie pas que tu vas mourir, de Xavier Beauvois (prix du jury).

La Cité des enfants perdus confirme ce qui était déjà apparent depuis Delicatessen, l'opera prima des duettistes, à savoir que ces excellents courts-métragistes que sont Caro et Jeunet ne tiennent pas la distance avec des films longs, les prises de vues réelles et image par image se conjuguant assez mal dans leurs univers en expansion. En revanche, Kassovitz et Beauvois, qui ont choisi de traiter, sur un mode stylisé pour le premier, sur celui du « réalisme romantique » chez le second, de problèmes de leur génération – le malaise des banlieues et l'autodestruction d'un étudiant qui apprend qu'il est séropositif –, trouvent un ton juste et séduisent la critique. Présent aussi à Cannes, mais dans la section parallèle « Un certain regard », Bye bye, de Karim Dridi, parvient à faire vivre, autour de deux adolescents pris dans les aléas d'une recherche identitaire, une mini-communauté maghrébine marseillaise.

Ces films, et plus particulièrement la Haine, développent une nouvelle tendance dans le cinéma français – que d'aucuns nomment le « banlieue-film » –, caractérisée par un regard non moralisant sur des communautés interraciales de jeunes qui vivent la crise de civilisation au quotidien. Ces œuvres ne forment pas une école : à la stylisation de la Haine répondent l'approche militante d'État des lieux, de Jean-Louis Richet, le ton de la comédie douce-amère de Raï, de Thomas Gilou, et de Douce France, de Malik Chibane, auteur en 1994 d'Hexagone, considéré comme un des films fondateurs du « genre ». Ce thème a inspiré à Bertrand Tavernier le sujet de l'Appât, un film aux accents tragiques qui met en scène des adolescents criminels. D'autres productions plus atypiques abordent la jeunesse sous l'angle de la passion amoureuse (Oublie-moi, de Noémie Lvovsky) ou de la recherche d'une nouvelle philosophie existentielle (la Croisade d'Anne Buridan, de Judith Cahen).