Les cinéastes confirmés poursuivent et affinent leur univers. Claude Chabrol tire de la Cérémonie un étrange psaume meurtrier dont la bourgeoisie provinciale est à nouveau la victime. Claude Sautet retrouve, dans Nelly et M. Arnaud, le ton intimiste de ses anciens films avec Romy Schneider pour dresser le portrait d'un vieil écrivain égoïste, désemparé devant l'attention que lui porte une jeune femme. Quant à Maurice Pialat, il poursuit, dans le Garçu, avec son complice Gérard Depardieu, sa réflexion sur la difficile communication entre les êtres.

Les « banlieues-films »

La sortie de la Haine a secoué les médias. Entre articles sociologiques et cinéphiliques, certains se sont posé la question de la spécificité de ces productions, tel Thierry Jousse des Cahiers du cinéma, qui, s'il pointe les diversités radicales les empêchant de faire école, délimite bien leurs caractéristiques communes : « La question centrale de ces banlieues-films tourne justement autour de la nature de l'image qu'ils cherchent à renvoyer. Une des nouveautés de ces films, du moins en ce qui concerne Hexagone et État des lieux, c'est leur mode de production. Rien ni personne n'avait prévu, anticipé, ni même tenté de générer ces films. En tout cas pas l'avance sur recettes, ni le C.N.C., ni les producteurs qui ont pignon sur rue, ni les chaînes de télévision qui financent l'essentiel du cinéma français. Dans un cas comme dans l'autre, ce sont des films faits avec très peu d'argent, sur un mode communautaire et associatif totalement hors des circuits traditionnels, travaillés par l'envie et l'énergie de produire des images à soi avec ce qu'on a sous la main sans attendre que les grands médias ou les fictions majoritaires s'en emparent et qui, à partir de situations très concrètes, prennent tout le monde à revers et vont à l'opposé du grand sujet de société pour proposer un autre type de représentation. C'est une démarche qu'on peut comparer à celle du rap (sans pour autant que cette musique joue un rôle déterminant dans ces films), surtout pour État des lieux, notamment par la revendication d'un cinéma pauvre, institué sur une scène alternative et qui ne doit compter que sur ses propres forces. » (Cahiers du cinéma, no 493, juillet-août 1995.)

États-Unis

Contrairement à l'année passée, la production commerciale américaine, prise dans l'engrenage des adaptations pour grand écran de jeux vidéo ou de séries télévisées de science-fiction (Mortal Kombat, de Paul Anderson ; Power Rangers, le film, de Bryan Spicer), déçoit dans son ensemble. Bien que plus ambitieux, Judge Dredd, de Danny Cannon (tiré d'une bande dessinée britannique), n'arrive guère, malgré des effets spéciaux très sophistiqués, à se départir de la thématique simpliste de la poursuite, cliché dramatique du cinéma d'action américain. On note cependant une réussite mineure dans le genre : Johnny Mnemonic, premier long-métrage du peintre-sculpteur Robert Longo, adapté d'une nouvelle de William Gibson. On pense, ici, à une version actualisée du Vidéodrome, de David Cronenberg, où des messagers de l'informatique se font greffer des poches de mémoire artificielle dans leur cerveau, au détriment de leur propre survie. Le sujet est intéressant, mais la réalisation s'avère molle.

C'est dans le nouveau polar maniériste (Flesh and Bone, de Steve Kloves ; Little Odessa, de James Gray ; Usual Suspects, de Bryan Singer), excroissance du Pulp Fiction de Quentin Tarantino, qu'on trouve les films de genre – et parfois même bien au-delà en ce qui concerne Little Odessa, véritable réflexion sur une minorité socioculturelle – les plus intéressants. Le cinéma indépendant continue, lui aussi, à donner des œuvres fortes traitant sans ambages de l'homosexualité féminine (Go Fish, de Rose Troche), masculine (Swoon, de Tom Kalin), de la création cinématographique avec le pirandellien Ça tourne à Manhattan, de Tom DiCillo, ou du malaise de la jeunesse avec les étonnants et dissemblables The Doom Generation, opéra baroque de Gregg Araki, et le très épuré Kids, de Larry Clark.