Le gouvernement désire surtout s'attaquer à l'impôt sur le revenu : en diminuer le taux, en élargir l'assiette, et simplifier peu à peu l'enchevêtrement des exonérations, déductions, plafonnements et abattements. Dans le projet de budget 1994, l'impôt sur le revenu est réduit jusqu'à 12 % pour certains ménages. Le nombre de tranches est ramené de 13 à 7. La fiscalité de l'épargne est également retouchée pour drainer l'épargne des sicav monétaires vers les dépenses de consommation, l'achat de logement ou les placements en actions.

La chasse aux déficits

Les déficits de la sécurité sociale étaient l'un des thèmes forts de la campagne électorale, et Simone Veil s'y est attaquée dès son arrivée au ministère des Affaires sociales et de la Santé. En juillet, un premier plan d'urgence est annoncé avec l'augmentation de la CSG, la baisse des taux de remboursement d'assurance-maladie, des frais d'hôpitaux, le gel des revalorisations... En septembre, un accord est trouvé avec les syndicats de médecins pour dégager 10,7 milliards de francs d'économies. On s'entend sur un traitement type suffisant pour 24 maladies classiques. Pour éviter les excès dans le traitement de certains patients, il est convenu de créer un dossier médical, tenu par le généraliste. Pour arracher cet accord aux médecins, il a fallu augmenter le prix des consultations de 100 à 105 francs. Par rapport aux ambitions du gouvernement, cet accord constitue un net recul.

La réforme la plus discrète – un petit décret publié fin août – mais peut-être aussi la plus courageuse du gouvernement Balladur concerne la retraite. Jusque-là, les gouvernements avaient dressé des constats alarmistes et rédigé des « livres blancs », mais laissé le soin de s'attaquer à la question à leurs successeurs. Le problème des retraites est simple : le nombre de cotisants stagne, alors que le montant des pensions augmente de 5 % par an. Empêcher le déficit (estimé à 37 milliards de francs en 1993) de s'accroître, dans ces conditions, est forcément impopulaire, quelle que soit la manière de s'y prendre. On peut augmenter les cotisations, diminuer les prestations ou rallonger la durée du travail. Simone Veil a choisi les deux dernières solutions : pour être en droit de recevoir sa retraite, il ne faudra plus cotiser 37 ans et demi, mais 40 ans ; la pension ne sera plus calculée sur le salaire moyen des 10 meilleures années, mais sur les 25 meilleures ; son évolution suivra l'indice des prix, pas celui des salaires. Mais ces mesures ne concernent que les assurés soumis au régime général.

À la fin de 1993, malgré les efforts du gouvernement, le déficit de la sécurité sociale atteint 100 milliards de francs.

Le budget 1994, voté à l'automne, est un bon résumé des contradictions qui ont miné le gouvernement tout au long de l'année 1993. Celui-ci tente de concilier l'inconciliable, l'assainissement financier et la relance de l'activité. Le souci de rigueur est affiché : les dépenses augmentent de 1,1 % (par rapport à la loi de finance 93 rectifiée en juin), les recettes de 3,3 %. Mais la progression des recettes est due en majeure partie aux privatisations. En réalité, conscient que l'austérité serait le pire des remèdes, le gouvernement maintient une politique de déficit public élevé. Pourtant, le budget 1994 ne sera pas un très puissant moteur pour la relance. D'une part parce qu'il s'appuie sur une prévision de croissance plutôt optimiste, + 1,4 %, alors que les experts tablent en général sur un taux situé dans une fourchette de 0 % à 0,5 %. D'autre part, l'État, en réduisant ses subventions aux collectivités locales, a pris le risque d'attiser les hausses d'impôts locaux. Les experts s'attendent à ce que ceux-ci, qui représentent 7 % des prélèvements obligatoires des Français, passent à 10 %, ce qui annulerait les effets expansionnistes du budget de l'État.

Pascal Riché
Journaliste à Libération