L'emprunt Balladur permet de résoudre le problème. Le 25 mai, à l'Assemblée nationale, le Premier ministre annonce le lancement d'un grand emprunt populaire de 40 milliards de francs, au taux de 6 %, à échéance de 4 ans. L'emprunt doit permettre de financer des travaux publics (rénovation des banlieues, équipement scolaire...), des aides à l'emploi (mesures en faveur des jeunes) et des dotations aux entreprises publiques. Les titres de cet emprunt national pourront être convertis dès l'automne contre les actions des futures entreprises privatisées. Autrement dit, contrairement à ce qui avait été annoncé pendant la campagne, les privatisations ne serviront pas à rembourser la dette de l'État, mais à soutenir l'activité. Le revirement est clair : « Balladur II » efface « Balladur I ». Aiguillonnés par ces contradictions, les socialistes se réveillent un peu et s'amusent d'un Premier ministre qui aurait un pied sur l'accélérateur et l'autre sur le frein. Mais l'opinion publique ne lui en tient pas grief. L'emprunt sera un énorme succès : 110 milliards sont récoltés. La moitié du surplus de 70 milliards est consacrée aux entreprises (accélération du décalage de remboursement de la TVA). Le reste est en partie mis en réserve, en partie consacré aux collectivités locales. Enfin, 5 milliards permettront de distribuer une grosse et populaire allocation de rentrée scolaire : 1 500 francs par enfant, contre 400 francs un an plus tôt.

Les aléas de la conjoncture

La situation monétaire, comme la conjoncture, apporte une grande déconvenue à l'équipe d'Édouard Balladur. L'année a pourtant plutôt bien commencé pour le franc. Le gouvernement Bérégovoy a essuyé une nouvelle tempête monétaire en décembre, qu'il a surmontée avec succès. Lorsque Édouard Balladur arrive à Matignon, il calme les spéculations des marchés quant à sa politique monétaire en nommant au ministère de l'Économie un « maastrichtien » pur jus, l'UDF Edmond Alphandéry. Celui-ci, qui succède au rocardien Michel Sapin, répète son attachement à la parité franc-Mark et, pour faire bonne mesure, annonce qu'il accordera l'indépendance à la Banque de France.

De fait, pendant le mois de juin, le franc se porte à merveille, et les taux d'intérêt baissent : les taux dits « de prise en pension » de la Banque de France passent de 11 % en avril à 7,75 % en juillet. Le gouvernement jubile. Un point de taux d'intérêt en moins, c'est un allégement de l'endettement (public ou privé) de 20 milliards de francs : une belle vitamine pour l'économie.

Le projet de loi sur la Banque de France est mis sur les rails : c'est un conseil de politique monétaire, composé de personnalités indépendantes, qui gérera désormais les taux d'intérêt en France. Les affaires monétaires vont si bien que les taux d'intérêt passent en dessous des taux allemands. La presse internationale, en juin, évoque le franc comme une éventuelle « nouvelle ancre » du système monétaire européen. Rue de Bercy, on se félicite un peu trop bruyamment. Edmond Alphandéry annonce à la radio qu'il a demandé aux responsables monétaires allemands de venir à Paris pour préparer une baisse des taux d'intérêt concertée. La Bundesbank allemande, si jalouse de son indépendance, n'apprécie pas cette intervention et annule le rendez-vous, au demeurant fixé de longue date. L'épisode jette un doute sur la solidarité monétaire réelle entre la France et l'Allemagne. Le franc commence alors à s'effriter. A force de faire de la baisse des taux d'intérêt l'objectif principal de sa politique économique, le gouvernement a placé la monnaie dans une situation de grande fragilité.

À la fin de juillet, la spéculation se déchaîne. La Banque de France et la Bundesbank jettent près de 200 milliards de Marks dans la bataille. Mais la Banque centrale allemande – qui a pourtant la possibilité de créer des Marks – refuse d'aller plus loin. Une réunion de crise est organisée à Bruxelles, le 1er août. La France propose de conserver le SME en l'état, mais de laisser le Mark flotter. Le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas, dont les monnaies collent au Mark, refusent. Tôt le matin, le 2, on s'entend sur un compromis : un élargissement « provisoire », de 4,5 % à 30 %, des bandes de fluctuation des monnaies les unes par rapport aux autres. Cette décision de fait supprime presque toute contrainte sur les politiques monétaires de chacun.

Les sirènes de l'« autre politique »

Après la crise, les pressions se multiplient pour que, profitant de la nouvelle situation, le gouvernement infléchisse sa politique monétaire. Pourquoi ne pas baisser les taux d'intérêt volontairement et faire baisser un peu le franc, puisque la mise entre parenthèses du SME l'autorise ? La France n'est, en effet, plus obligée de défendre la parité franc-Mark à coup de taux élevés. Une politique monétaire plus souple donnerait une bouffée d'oxygène aux entreprises, et une baisse du franc permettrait aux exportateurs français de grappiller quelques parts de marché à l'industrie allemande...