Politique économique : l'année de la baisse des taux

Diagnostic

Édouard Balladur est un homme de méthode. La première décision économique qu'il prend en arrivant à Matignon, en mars, est donc de commander un audit sur l'état de la France. Une commission, présidée par Jean Raynaud, procureur général près la Cour des comptes, est créée pour prendre le pouls de la France, que les socialistes ont, selon le nouveau Premier ministre, laissé « dans la pire situation depuis la Seconde Guerre mondiale », avec trois millions de chômeurs, une croissance négative, un déficit budgétaire en net accroissement, un franc sujet à des crises à répétition.

Les arrière-pensées politiques ne sont pas totalement absentes derrière cette commande. Alors qu'il n'a que deux ans pour « redresser » le pays – les élections présidentielles étant fixées en 1995 –, le nouveau Premier ministre tient à bien mettre en lumière « l'héritage » que lui a laissé son prédécesseur, Pierre Bérégovoy. Mais le suicide de ce dernier éteint brusquement toute polémique. La publication du rapport Raynaud est même retardée jusqu'à la mi-mai pour permettre quelques retouches, et sa version finale n'est finalement pas contestée par les socialistes.

Après le diagnostic, le docteur Balladur annonce ses remèdes, préparés depuis longtemps dans les laboratoires de l'opposition, et défendus avec constance pendant toute la campagne. À base de réduction des déficits, ils s'avéreront vite inadéquats face à la récession. Le Premier ministre, au fil des semaines, modifiera complètement sa politique pour la rendre plus souple, un revirement qui n'affectera en aucune manière sa popularité. Mais, malgré l'aide que lui a apporté, la baisse des taux d'intérêt (ceux à trois mois sont passés de 11 % à 7 %), la croissance a été négative en 1993.

Sévérité

Le plan « Balladur I » prend vite forme. Se fiant aux conclusions du rapport Raynaud – selon lequel, si rien n'est fait, le déficit budgétaire atteindra en 1993 410 milliards de francs et celui de la sécurité sociale, 60 milliards –, Édouard Balladur annonce le 10 mai, date symbole, un premier programme de redressement. Il s'agit de prouver le sérieux de la nouvelle équipe et, ce faisant, de favoriser une baisse des taux d'intérêt en France. Les marchés financiers internationaux n'aiment rien autant que les monnaies des pays dont les finances sont bien tenues.

Les mesures annoncées dans un « collectif budgétaire » sont donc sévères : hausse des taxes sur l'alcool et le tabac (17 milliards), hausse de la contribution sociale généralisée pour financer la sécurité sociale (50 milliards), coupes dans les dépenses du gouvernement (21,5 milliards). Le but étant de contenir le déficit à 317 milliards de francs.

Mais rien de très audacieux n'est envisagé pour favoriser une reprise : quelques crédits aux travaux publics (4 milliards), la suppression du décalage de la TVA pour les PME (8 milliards), une réduction des charges sociales pour les bas salaires (9 milliards) et des déductions fiscales en faveur de l'immobilier (3 milliards). La France attend une relance, le nouveau Premier ministre lui offre une cure d'austérité. La Bourse, entre l'arrivée du nouveau pouvoir et le 15 mai, perd 8 %...

Très vite, Balladur se rend compte de son erreur. La crise que traverse l'Europe est bien plus grave que prévue, et son premier plan, qui représente une ponction sur l'économie de 90 milliards, risque de l'aggraver en France. Les entreprises publient des chiffres d'affaires en recul, des résultats en chute. De nombreux économistes s'inquiètent. En favorisant les entreprises au détriment des ménages, Balladur fait une politique de « l'offre », alors que le pays traverse une crise de la « demande » : la consommation reste en effet atone, et les ménages gonflent leurs sicav. Le plan Balladur risque de détruire plus d'emplois.

Changement de cap

Le gouvernement décide alors de changer de direction, d'être moins regardant sur les déficits. On sait en effet depuis longtemps – depuis le grand économiste britannique Keynes – qu'à court terme les dépenses publiques sont de bons stimulants à l'activité. La question devient un casse-tête politique : comment faire passer le message d'un changement de cap ? Comment rouvrir un déficit sans qu'il n'apparaisse comme tel ? Emprunter des fonds sur les marchés des capitaux internationaux, ainsi que l'État le fait habituellement, apparaîtrait comme une contradiction.