Retour en arrière. Aux mois de juin et de juillet, le procès du sang contaminé, limitant à quatre inculpés, tous médecins, les auteurs de ce drame, ne peut satisfaire une opinion indignée et traumatisée. À l'automne, le verdict renforce cette impression d'inachevé. Le malaise se transforme en colère. Un sentiment, à tort ou à raison, domine : la justice ne s'applique pas de la même façon pour tout le monde. Les politiques semblent y échapper. Comme si, privilégiés par leur mandat électif, ils étaient à l'abri des lois. Consciente du discrédit qui la frappe, la classe politique ne peut rester inerte, au risque de consommer définitivement son divorce avec l'opinion. L'opposition n'entend pas faire, aussi, le moindre cadeau au pouvoir.

En octobre, le RPR et l'UDF demandent donc la mise en accusation devant la Haute Cour de justice de Laurent Fabius, de Georgina Dufoix et d'Edmond Hervé, respectivement Premier ministre, ministre des Affaires sociales et secrétaire d'État à la Santé au moment de l'affaire du sang contaminé. La Haute Cour ? La seule instance habilitée à juger des ministres. Une procédure qui n'a jamais abouti depuis les débuts de la Ve République. Symboliquement, une procédure lourde. Où le politique est juge et partie. Un chemin équivoque entre la justice et le règlement de compte préélectoral. Une procédure pas franchement adaptée à cette affaire, d'autant que beaucoup, dans l'opposition, ne sont pas convaincus de la culpabilité des trois « accusés ». Qu'importe : la machine est lancée. Le scandale du sang contaminé, déjà une tragédie pour les familles concernées, devient une affaire d'État.

Dénonçant, dans un premier temps, cette juridiction « uniquement politique », craignant les « risques d'infamie », Laurent Fabius réclame un « jury d'honneur » pour éviter toute politisation excessive. Le 1er novembre, appuyé par Pierre Bérégovoy, il demande une révision de la Constitution « pour que la justice ordinaire s'applique à tout le monde, c'est-à-dire aux hommes politiques ». « N'être jamais jugé, c'est n'être jamais acquitté », le soutient Michel Rocard. Las ! L'opposition s'oppose à toute réforme permettant aux ministres d'échapper à cette juridiction. Le 9 novembre, à la télévision, tout en reconnaissant qu'une modification de cette institution est souhaitable dans le cadre d'un toilettage plus large de la Constitution, François Mitterrand semble « abandonner » ses ex-ministres à leur sort : « Tant que la Constitution n'est pas réformée, il faut l'appliquer », déclare-t-il. « Un lâchage », commente-t-on alors, amer, au PS. Avec le recul, les mêmes estiment que, une nouvelle fois et avant eux, « Dieu » avait raison.

Pierre Favier, Michel-Martin Roland, la Décennie Mitterrand (2 volumes), Le Seuil, 1991.

Bernard Mazières
Journaliste à l'Express