En réalité, l'analyse des résultats confirme le fossé qui existe entre la classe politique et une France qui ne suit plus. Le vote des Français fait apparaître deux « peuples », deux « cultures ». D'un côté, les partisans de Maastricht, les nantis, les diplômés, les habitants des grandes villes. De l'autre, ses adversaires, la France des exclus, des chômeurs, celle des campagnes et des usines. Pour les premiers, l'Europe représente l'avenir, le progrès et la paix. Pour les seconds, elle réveille des peurs : peur de l'immigration, de la concurrence, de la technocratie, de l'Allemagne et d'une perte d'identité. Un scrutin qui fait voler en éclats le clivage gauche-droite. Et qui met en porte-à-faux la plupart des grands leaders politiques. Jamais Jacques Chirac, depuis la création du RPR en 1976, n'aura été autant contesté par sa base : seulement 34 % de ses électeurs ont suivi son mot d'ordre. Près de 40 % de la famille centriste et libérale – par vocation pourtant européenne – s'est prononcée contre. Quand, le 3 juin, au lendemain du « non » danois, François Mitterrand annonce que la ratification des accords de Maastricht sera soumise à référendum, le chef de l'État surprend toute la classe politique. Un vote du Congrès est en effet suffisant et il est de surcroît acquis d'avance. Réunis à Versailles, le 23 juin, les parlementaires d'ailleurs adopteront (en l'absence du RPR) à une très large majorité le projet de révision constitutionnelle. Dans ces conditions, pourquoi prendre un tel risque alors que rien n'y oblige ? Pourquoi, puisque les sondages sont défavorables à la gauche, recourir à cette procédure que les Français assimilent à un plébiscite ? En fait, à l'époque, le président estime que le « oui » est largement majoritaire et que le référendum a l'avantage de diviser la droite, à quelques mois des législatives, entre pro-Maastricht (la majorité de l'UDF) et anti-Maastricht (une bonne partie du RPR). Certes, le 1er juillet, François Mitterrand précise qu'il n'y aura « ni vainqueurs ni vaincus ». Certes, conscient du discrédit qui frappe le pouvoir en place, il prend soin de dissocier son sort de celui du résultat – « Je ne suis pas en cause dans cette affaire... ni avec le oui ni avec le non », lance-t-il le 14 juillet, en ajoutant : « Mais dire non, ce serait casser l'Europe. » Peut-être. Mais, en dépit de ces avertissements, François Mitterrand a sous-estimé deux éléments de taille : et le mécontentement que lui et les socialistes provoquent dans l'opinion, et l'appréhension que suscite l'Europe.

La guerre des chefs

Coucou, la revoilà ! Jamais, l'opposition RPR-UDF n'a semblé aussi bien placée pour remporter les élections législatives de mars 1993. Et jamais, depuis bien longtemps, à l'approche d'une victoire programmée et (pourquoi pas ?) d'un éventuel bouleversement du calendrier électoral dans la foulée, la rivalité toujours latente entre Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing n'aura resurgi avec autant d'acuité. L'union est un combat. Une nouvelle fois, au désespoir des « quadras » de l'UDF et du RPR et à la plus grande joie d'une gauche pourtant bien morose, pour ne pas dire en pleine déprime, les deux leaders « historiques » de la droite rejouent l'éternel et mauvais remake de la guerre des chefs pour le leadership de l'opposition. Avec une ambition non dissimulée pour chacun d'eux : l'élection présidentielle. Anticipée ou non.

À l'image des deux tiers de leurs sympathisants, les états-majors RPR et UDF sont convaincus qu'un nouvel affrontement Giscard-Chirac sera « ravageur » si ce n'est « suicidaire ». Qu'il faut à tout prix l'éviter. En avril dernier, pour tenter de régler ce problème et après bien des difficultés, les deux hommes se sont même rencontrés pour signer un accord sur l'organisation d'un système de « primaires à la française ». Objectif : aboutir à la désignation d'un seul et unique candidat de l'actuelle opposition pour le premier tour de l'élection présidentielle. Quelle que soit la date de celle-ci. Mais si l'accord existe bien sur le papier, la réalité est toute différente. En dépit des appels à la raison, les accrocs se multiplient. Et les conditions d'un « duel » entre les deux hommes sont, semble-t-il, à nouveau réunies.