Devant cette déroute socialiste, la droite RPR-UDF ne pavoise pas vraiment. Certes, avec 33 % des suffrages, elle est la première force politique du pays et conserve la présidence de 20 Régions sur 22. Mais elle ne fait pas le plein de ses voix. Elle est même en recul sensible par rapport aux précédentes consultations. Sans doute le mode de scrutin – la proportionnelle – favorise-t-il l'éparpillement des voix et le vote protestataire. N'empêche. Cela n'explique pas tout. Si la gauche est rejetée, la droite républicaine ne satisfait pas pleinement. Le message des électeurs est clair : ils souhaitent un renouvellement de la classe politique et de son discours. Principaux bénéficiaires de cette nouvelle aspiration des Français : les écologistes et le Front national. Le Parti communiste, avec 8 %, reculant de deux points par rapport aux régionales de 1986, s'estompe progressivement du paysage.

Avec les Verts d'Antoine Waechter (6,8 %) et Génération Écologie de Brice Lalonde (7,1 %), le mouvement écologique totalise 14,7 % des suffrages. Il passe de trois élus en 1986 à 212 en 1992. Un réel succès. Présents dans tous les conseils régionaux, les écologistes détiennent la clé de toute majorité. Quant au parti de Jean-Marie Le Pen, s'il ne réussit pas la percée escomptée (notamment en Provence-Alpes-Côte d'Azur), avec 13,9 % des voix et 239 élus, il s'implante sur le plan national. Une nouvelle fois, le Front national est en position de jouer les arbitres. Mais l'extrême droite et la mouvance écologiste ne transformeront pas leur succès électoral en victoire. Au contraire. D'abord parce que la droite RPR-UDF refusera toute alliance avec le FN au moment de l'élection des présidents de conseils régionaux, le 27 janvier. Ensuite parce qu'écologistes et lepénistes, ardents avocats pourtant de la proportionnelle, démontreront les dangers d'un tel type de scrutin en pratiquant au gré des circonstances des alliances contre nature. Deux ministres du gouvernement d'Édith Cresson, Jean-Pierre Soisson en Bourgogne et Jean-Marie Rausch en Lorraine, seront soupçonnés d'avoir bénéficié pour leur élection des voix du FN. Le premier démissionnera du gouvernement, le second de la Région. Quant au Nord-Pas-de-Calais, fief historique du PS depuis 1934, il devient (dans des conditions rocambolesques) la première Région de l'Hexagone présidée par une écologiste.

Le 22 mars restera dans la vie politique française comme une date fracture : celle de la fin de la bipolarisation gauche-droite.

Le gouvernement Bérégovoy

François Mitterrand, c'est bien connu, n'aime pas agir sous la pression des événements. Il veut rester maître du jeu. Contre l'avis de ses propres amis, jusqu'au dernier moment, en dépit de l'impopularité croissante d'Édith Cresson, le chef de l'État a défendu son Premier ministre alors même qu'il l'entraînait dans sa chute. Mais voilà : après la déroute électorale du PS aux régionales, amplifiée lors du second tour des cantonales, le 29 mars, on conteste de plus en plus le chef du gouvernement chez les socialistes. Et le rejet est de plus en plus manifeste dans l'opinion. Le président de la République n'a plus de marge de manœuvre. Il doit au plus vite reprendre l'offensive. Contrer la campagne de l'opposition qui réclame des élections législatives anticipées et, pourquoi pas... présidentielle ? Enfin, redonner, si c'est encore possible, une raison d'espérer à un peuple de gauche déboussolé et démobilisé. Dès le 30 mars, François Mitterrand commence ses consultations. Parmi les trois noms qui circulent pour Matignon – Jack Lang, Jacques Delors et Pierre Bérégovoy –, celui du Grand Argentier s'impose rapidement : l'homme du franc fort a la confiance des milieux financiers, sans, pour autant, désespérer la gauche.

Le 2 avril, Édith Cresson, onze mois à peine après son arrivée à Matignon, donne sa démission. C'est un record de brièveté sous la Ve République. Dans la soirée, son ministre de l'Économie et des Finances lui succède. Objectif fixé au nouveau chef du gouvernement : empêcher un raz de marée de droite aux prochaines législatives en sauvant ce qui est encore sauvable.