À moins d'un an d'une échéance nationale, l'ouverture n'est plus d'actualité. Les centristes ont choisi leur camp : celui de l'opposition. Les écologistes – l'ancien ministre de l'Environnement Brice Lalonde en tête – jouent les francs-tireurs : ils refusent les propositions ministérielles qui leur sont faites. Pierre Bérégovoy constitue alors autour de lui une équipe « resserrée ». Politiquement s'entend. Une équipe composée essentiellement par des fidèles du président et du premier secrétaire, Laurent Fabius. Un gouvernement « mitterrando-mitterrandiste », ironise la presse. Révélateur : huit ministres sont d'anciens collaborateurs du chef de l'État à l'Elysée ; neuf ont appartenu à la Convention des institutions républicaines, le parti créé par François Mitterrand dans les années 60. Jack Lang, grand prêtre des messes présidentielles, est intronisé no 2 avec en charge l'Éducation nationale et la Culture. Désormais, l'Élysée, l'hôtel Matignon et – pense-t-on à l'époque – la rue de Solférino doivent parler d'une seule et même voix. Symbolique : deux « éléphants » du PS, Lionel Jospin et Jean Poperen, s'en vont ; Bernard Tapie arrive. L'homme d'affaires devient ministre de la Ville. Inculpé, il démissionnera peu après.

Compte tenu du climat politique ambiant, des affaires, le nouveau Premier ministre ne bénéficie pas d'un « état de grâce ». Mais son arrivée à Matignon est accueillie plutôt avec soulagement. Dans le baromètre l'Express-Louis Harris du mois d'avril, 61 % des personnes interrogées approuvent sa nomination. (Le mois précédent, l'action d'Édith Cresson atteignait des sommets d'impopularité avec seulement 27 % d'opinions favorables.) Une embellie qui profite aussi à François Mitterrand. Elle sera de courte durée : les embûches vont se multiplier. Certes, en renonçant à changer le mode de scrutin pour les prochaines législatives, en faisant de la lutte contre le chômage son objectif prioritaire et en s'attaquant à la corruption, Pierre Bérégovoy s'attire-t-il les bonnes grâces du PS. Sans doute la droite se divise-t-elle sur la question européenne, et en querelles internes. Mais l'usure du pouvoir est telle que la mission du gouvernement Bérégovoy s'avère difficile. Voire impossible.

La République et Vichy

Les 16 et 17 juillet 1942, quelque 5 000 policiers et gendarmes français, assistés par des militants « doriotistes », arrêtaient et parquaient au Vélodrome d'Hiver, à Paris, dans l'attente d'une déportation, près de 13 000 Juifs. Cinquante ans après, en juillet 1992, la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv' donne lieu à une nouvelle et vive controverse sur la reconnaissance du rôle de la France dans les déportations. Un comité « Vel'd'Hiv' 42 », composé par de nombreux intellectuels, dont certains proches du pouvoir, demande à François Mitterrand, à l'occasion de cet anniversaire, de « reconnaître officiellement que l'État français de Vichy est responsable de persécutions et de crimes contre les Juifs de France ». Jamais, en effet, depuis un demi-siècle, les responsabilités du régime de Vichy n'ont été officiellement reconnues. Jamais, jusqu'à René Bousquet, en 1991, un Français n'a été poursuivi pour crime contre l'Humanité. Cette époque est occultée, cachée. La « doctrine » officielle remonte au général de Gaulle : Vichy est une parenthèse dans l'histoire de la République, ses actes sont nuls et non avenus. Une doctrine qui, sciemment, oublie que l'État français – celui du maréchal Pétain – fut (avant de trucider la République) institué par un vote républicain. D'où, comme l'écrivent Éric Conan et Daniel Lindenberg dans la revue Esprit (mai 1992), « un sentiment permanent de malaise, d'inaboutissement... Ce passé devenu obsessionnel ne cesse de rôder, sans trouver de formes d'expression satisfaisantes ».

Cette fois-ci pourtant, depuis quelques années, cette époque resurgit. De nombreuses affaires se sont chargées de la ressusciter : le procès de l'Allemand Klaus Barbie, tout d'abord, jugé à Lyon en 1987. L'arrestation de Paul Touvier, ensuite, en 1989, puis son non-lieu, après deux ans d'instruction. Le dossier de René Bousquet, l'ancien secrétaire général de la police sous l'Occupation, et les révélations de l'Express, enfin, sur le camp d'internement pour enfants juifs de Pithiviers. Bref, le passé devient présent.