En définitive, pour la part déterminante qu'ils prennent dans le déclenchement des crises monétaires ou boursières, les marchés financiers doivent être regardés comme une sorte de caisse de résonance et un lieu de réduction des incertitudes et des déséquilibres de la sphère réelle. En retour, il convient de souligner qu'en raison de leur vulnérabilité, ils ne doivent pas pour autant être tenus pour responsables des crises : tant que naissent ou subsistent des inquiétudes et des incertitudes en matière de monnaies, de taux d'intérêt et d'évolution des cours des actions, il faut s'attendre à ce que des crises éclatent et se répètent dans le temps. C'est d'ailleurs ce qui a pu être observé depuis le krach de 1987. Cette évolution a culminé avec la tourmente monétaire de septembre 1992 et la tempête boursière du 5 octobre. Les incertitudes qui ont pu être constatées en 1992 tiennent à des faits politiques et économiques extérieurs aux marchés financiers.

Incertitudes politiques

Le refus danois du 2 juin, puis l'annonce d'un référendum en France le 20 septembre 1992 sur la ratification du traité de Maastricht font naître chez les opérateurs une incertitude. Ils estiment que le système monétaire européen et la construction européenne peuvent être remis en cause, quelle que soit l'issue du vote. En effet, ils acquièrent très vite la conviction qu'en cas de majorité faible en faveur du oui, la dévaluation du franc et d'autres monnaies ne pourra pas être évitée. En d'autres termes, le référendum français offre aux marchés financiers une échéance pour spéculer. Effectivement, c'est ce qui arrivera.

Incertitudes économiques

Les années 1991 et 1992 marquent une pause après une phase de vive croissance des pays industrialisés (3,3 % en moyenne de 1983 à 1989) entraînée par le

Japon (4,6 %) et les États-Unis (3,8 %) ; la croissance dans la CEI n'ayant atteint que 3 %. Depuis la fin de la guerre du Golfe, avec une croissance beaucoup plus modérée (2 % dans le meilleur des cas), l'activité économique s'est progressivement ralentie. Par ailleurs, la hausse d'intérêts réels a contribué au remboursement brutal de l'investissement privé, dont le taux de croissance pour l'ensemble de l'OCDE est passé de 10,5 % en 1988 à 5,0 en 1991 et à 0,1 en 1991. En 1992, les entreprises retardent l'investissement. Ce freinage de l'investissement traduit le caractère durable du ralentissement de l'activité économique.

Dans un premier temps, ce ralentissement a suscité chez les opérateurs des réactions attentistes ; puis, en l'absence de reprise de l'activité, pourtant continuellement annoncée, l'attentisme s'est transformé en inquiétude. Plus particulièrement, les opérateurs se sont interrogés sur l'efficacité d'une détente des taux d'intérêt élevés et contrôlés par la Bundesbank et sur la capacité des gouvernements à faire sortir l'économie de la récession. Le doute a provoqué une perte de confiance qui se manifeste en toute occasion sur les marchés boursiers et monétaires.

Partie d'échecs

En prévision de l'incertitude des résultats du référendum du 20 septembre, les opérateurs parient sur la dévaluation du franc. Face à ce pari, les autorités monétaires affirment leur détermination de sauver la devise française de la dévaluation : il s'agit en même temps d'éviter l'explosion totale du système monétaire européen ; dans ce cas, l'ouverture des frontières au 1er janvier verrait sa portée plus réduite, et le projet d'union monétaire serait probablement abandonné. Devant l'importance de l'enjeu, les autorités monétaires françaises ont pris leurs responsabilités. Le film, comparable à une partie d'échecs, va se dérouler en plusieurs épisodes.

Au départ, le 16 septembre, la peseta est dévaluée de 5 %, la lire et la livre sterling ont dû sortir du SME en raison du fait que les parités de l'une et de l'autre ne pouvaient plus être défendues. Les opérateurs se rendent compte très vite qu'il faut saisir les occasions de gain provenant du flottement et de la dépréciation de ces deux devises. Le lendemain 17 septembre, les opérateurs vont échanger ces trois devises à n'importe quel prix. En jouant ainsi, ils vont encaisser des bénéfices qui ont pu être chiffrés en milliards de dollars.

Attaque contre le franc

Dans un deuxième temps, les opérateurs vont se retourner contre le franc. Cette attaque étonne les autorités monétaires qui estiment que le « franc appartient au groupe des monnaies les plus solides du SME ». En outre, elle est injustifiée au regard des performances de l'économie française en matière de désinflation et du redressement de la balance commerciale. Les opérateurs vont alors engager des sommes considérables (500 milliards de francs) et même emprunter auprès des banques pour réaliser les gains liés à la baisse du franc attaqué.

Contre-offensive

La Banque de France va être amenée, après une période d'hésitation, à intervenir très vite pour acheter les francs dont se débarrassent les gros investisseurs (essentiellement américains). Le vendredi 18 septembre 1992, elle décide de ne pas alimenter le marché monétaire en liquidités. Désireux d'obtenir des francs pour les convertir en marks, les spéculateurs empruntent à des taux prohibitifs (jusqu'à 80 %). Après quoi, la Banque de France revient sur sa décision de ne plus satisfaire les demandes de liquidités, ce qui permet aux spéculateurs de continuer à emprunter des sommes énormes (environ 90 milliards dans la journée).