La crise du Golfe

Le 2 août 1990, l'Irak envahit son petit voisin, le Koweït. L'ampleur de la réaction internationale surprend le président Saddam Hussein, qui, depuis cette date, semble jouer aux échecs avec le reste du monde au bord d'un abîme dans lequel tout, à tout instant, peut désormais basculer.

La longue et sanglante guerre irano-irakienne qui a pris fin en août 1988 a fait de l'Irak la première puissance militaire du monde arabe. Les pétro-monarchies, qui avaient tout mis en œuvre pour que l'Iran khomeyniste ne remporte pas la bataille, s'étaient soudain trouvées confrontées à une nouvelle menace, celle du Baas irakien qui aspirait à devenir le nouveau gendarme du Golfe.

En particulier, la montée en puissance de Bagdad inquiétait le minuscule mais riche émirat pétrolier de Koweït, revendiqué par le général Kassem, dès le lendemain de la proclamation de son indépendance, le 19 juin 1961, comme une partie intégrante de l'Irak. Les successeurs du général Kassem n'avaient reconnu l'existence autonome de l'émirat qu'à contrecœur ; ils avaient toujours refusé de régler d'une manière définitive le lourd et délicat contentieux frontalier qui opposait les deux pays. Malgré l'aide apportée par le Koweït à l'Irak dans sa guerre de huit ans contre l'Iran, le président Saddam Hussein continuait à exiger une rectification des frontières en faveur de l'Irak. Il réclamait en particulier la région d'Oum el-Kasr et les deux îles koweïtiennes de Warbah et de Boubiyane qui, selon Bagdad, gênaient considérablement l'accès de l'Irak à la haute mer.

La 19e province

La crise qui couvait au début de 1990 a donc éclaté au grand jour en juillet lorsque le président Saddam Hussein s'en est pris au Koweït et à l'Arabie Saoudite. Il les accusait de manipuler à la baisse les cours du pétrole et de poignarder son pays dans le dos. Dans une note adressée à la Ligue arabe, son ministre des Affaires étrangères, M. Tarek Aziz, affirmait que le Koweït avait volé à l'Irak l'équivalent de 2,4 milliards de dollars et qu'il avait construit des bases militaires en territoire irakien. Les exigences de Bagdad s'accompagnaient d'une démonstration de force à la frontière koweïtienne, où étaient déployés plusieurs dizaines de milliers de soldats irakiens.

Une médiation entreprise à la hâte par le président égyptien Moubarak et le roi Hussein de Jordanie, les deux principaux alliés arabes de l'Irak, échouait le 1er août, lors de la conférence de Djeddah, face à l'intransigeance du président Saddam Hussein. Celui-ci avait vraisemblablement déjà pris la décision d'envahir le Koweït dans l'intention évidente de faire main basse sur ses richesses. Il entendait ainsi remédier à la détérioration constante du niveau de vie de la population irakienne provoquée par la grave crise économique qu'avait entraînée une longue et coûteuse guerre.

Contrairement à ce qui s'était passé en Iran, l'invasion du Koweït, à l'aube du 2 août, est une véritable promenade militaire : la disparité des forces est trop grande, et la famille Sabah, qui règne sur le Koweït, trop confiante à l'égard de ses « frères irakiens », n'a apparemment pris aucune mesure sérieuse pour défendre le territoire national. En l'espace de quarante-huit heures, l'armée irakienne occupe l'émirat et fait mouvement vers la frontière de l'Arabie Saoudite. L'émir Jaber et les membres de sa famille choisissent l'exil en Arabie Saoudite. Pourtant, Saddam Hussein ne trouve aucune force politique koweïtienne prête à entretenir la légende d'une « révolution populaire » dont les chefs auraient demandé son intervention. En fin de compte, il est contraint d'annexer l'émirat pour en faire le 19e gouvernorat de l'Irak.

De toute manière, le président Saddam Hussein agit comme s'il ne craignait aucune réaction arabe ou internationale. Il sait qu'il va être condamné − pour la forme, estime-t-il − mais ne prévoit rien de vraiment sérieux. Une erreur de calcul, probablement provoquée en partie par l'étrange comportement de Mme April Gaspie, l'ambassadrice américaine à Bagdad, qui, reçue le 25 juillet par Saddam Hussein, lui avait tenu des propos inspirés par « l'amitié et non la confrontation », affirmant que son gouvernement ne voulait pas prendre parti dans la querelle frontalière qui opposait l'Irak au Koweït.