Le chef de l'État irakien a-t-il interprété ces déclarations pour le moins ambiguës comme un « feu vert » ? On est en droit de l'imaginer, surtout après l'incroyable affirmation de M. John Kelly, secrétaire d'État adjoint chargé du Moyen-Orient, qui déclarait le 31 juillet, devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, que le régime irakien évoluait dans le bon sens et que les États-Unis ne s'étaient pas engagés à défendre le Koweït en cas d'agression.

Le sommet de la dernière chance

Surpris par la vigueur de la réaction de la communauté internationale et des États-Unis, Saddam Hussein choisit l'escalade. Après avoir annexé « irréversiblement » le Koweït, il essaie de donner un contenu « anti-impérialiste » et « nationaliste arabe » à son expédition koweïtienne afin de s'assurer le plus large appui possible dans les masses. Il lance une véritable croisade contre « l'impérialisme et ses suppôts arabes » et ferme pratiquement la porte à toute solution négociée de la crise : par sa déclaration du 12 août, il propose la levée des sanctions prises par l'ONU au lendemain de l'agression, le retrait immédiat des forces étrangères déployées en Arabie Saoudite sous le bouclier américain et leur remplacement par une force panarabe excluant l'Égypte. Qui plus est, il préconise une « solution globale » de tous les problèmes d'occupation au Proche-Orient et lie le règlement de la crise à un retrait israélien des territoires occupés. Une manière comme une autre de banaliser l'occupation du Koweït et de reporter le retrait de ses troupes aux calendes grecques.

La stratégie de Saddam Hussein ne manque pas d'habileté. Elle vise manifestement les gouvernements arabes qui se trouvent ainsi placés devant l'alternative de soutenir l'entreprise américaine « Bouclier du désert » sur le sol saoudien ou de s'y opposer. Réuni d'urgence au Caire en vue d'élaborer une stratégie commune pour tenter de résoudre, dans le cadre arabe, le conflit irako-koweïtien, le sommet de la « dernière chance » échoue. La « stratégie de la tension » du président irakien parvient à faire éclater le front commun. Une ligne de partage est désormais visible au sein d une Ligue arabe réduite à l'impuissance par ses contradictions ; elle consacre la division du monde arabe en deux blocs opposés. D'une part, les monarchies pétrolières du Golfe, certains régimes modérés comme l'Égypte et le Maroc auxquels s'ajoute curieusement la Syrie ; de l'autre, ceux qui, tout en n'approuvant pas l'occupation du Koweït, refusent une éventuelle action militaire contre l'Irak sous le parapluie américain et privilégient une solution négociée fondée sur un compromis territorial.

Reste à savoir dans quelle mesure le président Saddam Hussein, qui réaffirme au fil des semaines que l'occupation du Koweït a mis fin à un « partage colonial », est prêt à accepter un tel compromis. Certains de ses amis soutiennent que le décret du 28 août rattachant la région de Roumeila-Sud et les îles de Boubyane et de Warbah au gouvernorat de Bassorah avait précisément pour objet de laisser entendre que l'Irak se contenterait en fin de compte de l'annexion de cette partie de l'émirat. Mais rien n'est venu depuis lors confirmer une telle possibilité. De toute manière, un tel arrangement contredit l'esprit et la lettre de la résolution 660 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui « exige le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les forces irakiennes des positions qu'elles occupent au Koweït ».

Joueur d'échec redoutable, Saddam Hussein est passé maître dans l'art du gambit et ne craint pas les sacrifices destinés à renforcer ses positions. Le 15 août, « pour que le potentiel de l'Irak ne soit pas gaspillé loin du champ de la grande bataille », il accepte l'accord frontalier d'Alger de 1975 qui partageait le Chatt el Arab entre l'Iran et l'Irak. En normalisant ainsi ses relations avec Téhéran, il libère une trentaine de divisions qui étaient immobilisées le long de la frontière iranienne.

Dix mille otages

Les chances d'un règlement diplomatique commencent à s'amenuiser avec l'arrivée des troupes alliées en Arabie Saoudite. Afin de se prémunir contre toute attaque aérienne, Saddam Hussein retient en otages quelque 10 000 étrangers qui se trouvaient au Koweït et en Irak au moment de l'invasion. Ils doivent être utilisés comme « boucliers humains » dans les zones et installations stratégiques susceptibles d'être attaquées par l'aviation américaine, ce qui complique encore davantage la crise. Washington, Londres et Paris excluent tout marchandage au sujet de leurs ressortissants et rejettent la proposition de Saddam Hussein de les libérer en échange de l'assurance que l'Irak ne serait point attaqué.