La littérature est là comme mémoire ; elle a été, pour nombre d'écrivains, un moyen de conjurer le temps. Marcel Schneider, derrière un roman d'éducation : l'Éternité fragile (Grasset), nous a livré le premier tome de son autobiographie. En ces temps sans poésie, le charme des souvenirs d'enfance a fait recette, surtout s'il s'agissait de ceux de Philippe Labro (le Petit Garçon, Gallimard). C'est aussi en lui-même que Richard Jorif a trouvé la matière de son dernier livre. Ses Persistants Lilas (François Bourin) avaient le parfum des épicuriennes flâneries qui ont illuminé la jeunesse de l'auteur en Martinique. Aussi gaies et tendres étaient les images que Jean Tardieu a retenues de ses escapades dans les rues de Montmartre, il y a plus de 80 ans (On vient chercher Monsieur Jean, Gallimard). Bruno Bayon, lui, a choisi de se raconter à travers les Animals qui ont croisé sa jeune existence en Afrique dans les années 50-60 (Grasset). Beaucoup moins fantasque fut l'enfance de Jean-Denis Bredin (Un enfant sage, Gallimard).

Mais, si, au cours de l'année, on a pu constater chez nos écrivains des thèmes communs d'inspiration, le public n'a pas vraiment choisi ses livres en fonction de leur thème ou de leur titre, mais plutôt de leur auteur, et souvent même de son rayonnement médiatique. C'est ainsi qu'en 1990 encore quelques habitués du succès ont vendu autour de 100 000 exemplaires. Patrick Modiano a ainsi promené sa mélancolie et ses déchirements dans Un voyage de noces, mais le cœur n'y est pas (Gallimard). Aussi plébiscité fut le livre de Tahar Ben Jelloun, Jour de silence à Tanger (le Seuil), construit autour du portrait du père de l'écrivain. Autant l'écriture de ce roman est dépouillée et sans ornement, autant celle de l'Orgie, la neige (le Seuil) de Patrick Grainville flamboie voluptueusement en un hymne à la chasse et à l'hiver. Le nouveau Queffelec, toujours très attendu, a surpris par son sujet : le mensonge (le Maître des chimères, Julliard).

Les femmes étaient également bien représentées parmi les best-sellers, telles Françoise Chandernagor avec l'Enfant aux loups (De Fallois) et Françoise Mallet-Joris, qui a compliqué à plaisir une intrigue policière dans Adriana-Sposa (Flammarion). Parmi les bonnes surprises de la saison, il y a eu Nous sommes éternels, de Pierrette Fleutiaux (Gallimard). Ce roman-océan de 800 pages, tournant autour des amours incestueuses d'un frère et d'une sœur, a subjugué la critique autant que le public. Un autre retour applaudi fut celui de Patrick Besson (la Paresseuse, Albin Michel), une histoire d'amitié qui laisse voir une chronique insolente de la génération des années 70. Enfin, le livre le plus bouleversant fut un roman traversé par l'urgence d'écrire de son auteur, Hervé Guibert, atteint du Sida (À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, Gallimard).

Molière ou Corneille ?

Les romans historiques ont toujours la faveur des lecteurs, qui ont dévoré la Souris verte, de Robert Sabatier (Albin Michel), située dans le Paris de l'Occupation. Que l'histoire soit amplement reconstruite ou obliquement évoquée, elle était présente dans l'Infortune de François Sureau (Gallimard), qui se déroule à la Belle Époque, et dans la Stratégie du bouffon de Serge Lentz (Laffont), un roman picaresque campé au xve siècle et ayant pour sujet la Cité idéale. C'était aussi le thème de Sérénissime de Frédéric Vitoux (le Seuil).

La biographie a été particulièrement florissante et choyée par les éditeurs. On a ainsi pu lire celle de Stendhal, ou Monsieur Moi-même, par Michel Crouzet ; celle de Jacques Prévert, des mots et merveilles, par René Gilson (Belfond) ; ou encore celle de Marguerite Yourcenar, l'Invention d'une vie, par Josyane Savigneau (Gallimard).

En ce qui concerne les essais, l'Invention de l'Europe, d'Emmanuel Todd (le Seuil), fut l'un des plus remarqués ; sans oublier, pour ceux qui ont voulu tout savoir sur le monde de l'édition, le Plus Beau Métier du monde, de Françoise Verny (Olivier Orban), et Grâces leur soient rendues de Maurice Nadeau (Albin Michel). Enfin, un essai littéraire a émergé par son originalité et par la controverse qu'il a suscitée : Molière ou l'Auteur imaginaire ?de Hippolyte Wouters et Christine de Ville de Goyet (Complexe), où les deux chercheurs ont entendu démontrer, solide argumentation à l'appui, que l'auteur des pièces de Molière était en fait Corneille.