Cette confédération devrait être organisée à partir des accords d'Helsinki, conclus en 1975 par trente-cinq pays européens (à l'exception de l'Albanie), plus les États-Unis et le Canada ; elle est un point commun avec la « maison commune » de Mikhaïl Gorbatchev, mais, pour le président français, elle ne sera possible qu'à certaines conditions : l'instauration, dans les pays de l'Est, du pluralisme des partis, d'élections libres et de la liberté de l'information. Tel semble être en effet le choix qui s'offre à la France et à ses partenaires au seuil de l'année 1990 : poursuivre la construction communautaire à Douze, puis lancer ce projet de confédération. Faute de quoi, assure François Mitterrand, l'Europe se retrouverait dans une situation proche de celle qui était la sienne en 1919 : « On connaît la suite »... D'où le langage tenu aux Allemands : l'autodétermination est un droit que la France respecte, mais sachez ne pas bouleverser l'équilibre européen...

Le fait que celui-ci soit menacé explique en grande partie la moindre attention accordée à d'autres problèmes cruciaux de la scène mondiale. Ainsi, en d'autres temps, fort proches, l'opération américaine au Panama, baptisée « Juste cause », qui avait pour objet et a eu pour effet de déloger le général Noriega du pouvoir pour le traduire devant une juridiction américaine, sous l'inculpation de trafic de drogue, eût provoqué un tollé contre « l'impérialisme américain ». Tout juste a-t-il été fait mention des réserves de la France, dans un contexte influencé par l'idée qu'il faut peut-être commencer d'admettre un droit d'ingérence des grandes puissances, par exemple pour venir en aide aux Roumains...

De même, les responsables occidentaux ont-ils rapidement passé par profits et pertes (précisément pour ne pas perdre l'accès au marché chinois) le bain de sang de la place Tiananmen qui a mis fin, sous la houlette d'un Deng Xiaoping finissant, au printemps de Pékin. Chacun cependant a pu suivre avec passion sur les écrans de télévision – l'Histoire se fait maintenant en direct – cette préfiguration manquée du grand séisme qui allait bientôt secouer un Est plus proche, et s'en affirmer solidaire. En revanche, cette même opinion ne s'est guère émue du prix élevé probablement payé par la France – les 171 passagers d'un DC 10 d'UTA – pour l'opération de dissuasion menée par une flotte française au large du Liban et qui avait évité au général chrétien Michel Aoun de périr sous les bombes syriennes.

Le consensus républicain

Ressaisie par l'histoire, témoin privilégié du mouvement des peuples, comme en témoigne l'attente, à son égard, des Roumains aussi bien que des Polonais ou des Tchèques, la France a été confrontée à des problèmes de société qui peuvent mettre en cause le consensus républicain. Le débat sur l'intégration des immigrés et la nécessaire maîtrise de l'immigration clandestine a resurgi dans les derniers mois de l'année avec une force insoupçonnée, et dangereuse pour la société elle-même. Il a suffi, en effet, qu'un principal de collège de la grande banlieue parisienne interdise à trois jeunes élèves musulmanes le port d'un foulard en classe pour que la France du consensus se transforme en un vaste champ de bataille sur un sujet qui réunit deux des principaux thèmes des clivages à venir, à savoir les questions éthiques et ethniques. Au nom de la laïcité, presque toute la droite et toute une partie de la gauche ont plaidé pour l'exclusion des jeunes filles. Le gouvernement a cherché à préserver une vision tolérante de la laïcité, n'envisageant l'exclusion qu'après épuisement de toutes les possibilités de dialogue. Cette position a provoqué la levée en masse d'un certain nombre d'intellectuels proches de la gauche qui l'ont considérée comme une nouvelle « défaite de la pensée ». Le gouvernement a plus sagement plaidé pour l'intégration des immigrés réguliers, la protection des lois de la République étant, selon lui, le plus sûr rempart contre l'intégrisme. À ce stade, personne n'a plus prêté attention au sort des trois collégiennes de Creil, qui ont finalement accepté de ne porter le voile qu'en cour de récréation. Mais tout le monde a retenu que les gouvernements successifs n'ont pas su prendre la mesure du problème de l'immigration et que le président de la République a opéré, sur ce sujet, un nouvel et important virage idéologique, que certains comparent déjà avec le changement de cap en matière économique des années 1982-1983. Alors que le candidat Mitterrand à sa propre réélection avait souhaité dans sa « Lettre à tous les Français », pouvoir convaincre ses concitoyens d'accorder aux immigrés le droit de vote aux élections locales, celui-ci étant conçu comme un moyen de l'intégration, à l'exemple de ce que pratiquent d'autres démocraties européennes, le président Mitterrand s'est rangé, dans une intervention télévisée prononcée à « chaud », à l'idée non seulement qu'il existe un « seuil de tolérance » en matière d'immigration, mais aussi que celui-ci était bel et bien atteint dans la France de 1989. Formulant le vœu que la France « échappe aux entraînements du racisme », le chef de l'État a tenu le discours de la fermeté, et de la fermeture (autant qu'il est possible à l'heure des frontières ouvertes de la CEE) des frontières françaises à l'immigration, ce que le Premier ministre a traduit en disant que la France ne peut accueillir « toute la misère du monde ».