« C'est assez, il faut que les collectivités soient plus raisonnables ; l'État ne peut indéfiniment, en étant prisonnier d'automatismes législatifs, alimenter la pompe des finances locales. Une révision s'impose », a lancé Michel Charasse, qui a fait adopter un nouveau système, en dépit de l'hostilité des parlementaires, toutes tendances politiques confondues. Désormais, on prendra pour base d'indexation de la DGF, non les taux fictifs de la TVA de 1979, mais la hausse des prix de la consommation des ménages. Est donc inscrite dans la loi de finances, pour 1990, une DGF de 82,15 milliards, alors que, si l'ancien système était resté en vigueur, les collectivités auraient pu compter sur 87 milliards de francs. (À titre de comparaison, l'ensemble des recettes procurées par les impôts directs locaux représente 165 milliards de F.) Les élus locaux, à qui il est demandé chaque année de prendre à leur charge une part croissante des dépenses publiques, ont évidemment poussé des hauts cris. Et le gouvernement, pour calmer le jeu, a fait savoir qu'il rechercherait un système d'indexation plus équitable. Il serait en effet juste que les collectivités, qui font un effort d'investissement proportionnellement deux fois plus important que celui de l'État, profitent elles aussi, sous forme de redistribution, de l'enrichissement général du pays.

L'entreprise-Région

L'année 1989 aura été marquée également par l'amorce d'un débat, dans le contexte européen, sur la taille des Régions françaises à l'échéance de 1993. Mais cette discussion n'a pu être conduite à son terme malgré son intérêt. Y a-t-il trop de Régions, ont-elles des moyens financiers suffisants ? (À titre d'exemple, le budget de la Généralité de Catalogne est trente fois plus important que celui de Midi-Pyrénées.)

Mais il ne s'agit pas seulement d'une question de taille. Des maires, des présidents de Régions ou de départements se comportent de plus en plus comme des patrons d'entreprises. Ils sillonnent le monde, concluent des accords économiques avec les régions étrangères, étendent leurs pouvoirs sur la vie politique, sociale, universitaire, culturelle d'une communauté d'hommes et de femmes, électeurs, citoyens, contribuables. Les villes et les Régions cherchent et trouvent des slogans percutants (« Montpellier au cœur, l'Europe en tête » ; « le Languedoc-Roussillon : le Sud intense »). Bref, les collectivités locales qui, en droit, n'ont d'autres compétences que celles que leur attribuent les lois et les décrets, acquièrent dans les faits, jour après jour et en fonction de la personnalité du maire ou du président qui est à leur tête, une légitimité générale et un pouvoir considérable.

L'exemple des ex-chantiers navals Normed de La Ciotat est caractéristique. Le site est propriété du conseil général des Bouches-du-Rhône. C'est donc son président qui a autorité pour accorder ou non au groupe américano-suédois Lexmar (qui en a fait la demande) l'autorisation de rouvrir, par concession sur le domaine public maritime, un chantier naval. M. Lucien Weygand, président socialiste du conseil général, ne doit sa (fragile) majorité qu'à l'appoint des communistes favorables à la réouverture du chantier et qui, avec la CGT, militent activement en sa faveur. Or, le projet industriel présenté par Lexmar ne repose sur aucune base solide, financièrement ou économiquement. L'État, pour sa part, se déclare franchement hostile à la solution Lexmar, mais il n'est plus le premier décideur. Conséquence – que certains disent « perverse » – des lois de décentralisation, c'est le conseil général qui a en main les cartes maîtresses et qui a donc pu décider, le 22 décembre, d'accorder au groupe une concession provisoire de six mois.

Sur le plan économique, les départements, villes et Régions sont de véritables puissances. L'ensemble de leurs budgets a atteint 610 milliards en 1989, soit 11,1 % du produit intérieur brut. Les budgets des communes progressent raisonnablement d'une année sur l'autre (+ 4,6 %), ceux des départements un peu plus rapidement (+ 6,5 %) et ceux des Régions « s'envolent » (+ 21,4 %). La progression est encore plus marquée lorsqu'on observe la fiscalité, puisque les revenus procurés par les impôts régionaux directs ont augmenté de 29,1 %. Il est vrai que les Régions sont appelées à faire un effort de plus en plus considérable, notamment en prenant en charge toute la rénovation des lycées.