Condamnée par les dirigeants historiques du CDS, et notamment par Jean Lecanuet, rejetée par les membres de ce parti restés de farouches adversaires de la majorité présidentielle, cette décision désarçonna l'électorat, convaincu, au contraire, que rien de fondamental n'opposait désormais les deux grandes formations politiques de l'opposition.

À l'extrême gauche, Claude Llabrès tentait d'entraîner les communistes sur la voie de la rénovation, tandis qu'Ariette Laguiller, au nom de Lutte ouvrière, et Marc Gauquelin, en qualité de trotskiste du MPPPT, se disputaient les voix de ceux qui voulaient construire l'Europe des travailleurs contre l'Europe du capital. À droite, l'opposition n'avait sans doute rien à redouter des listes dont les leaders peu connus Gérard Touati (Génération Europe) et Henri Joyeux (Alliance) prétendaient lui disputer des voix que convoitait également Jacques Cheminade (Rassemblement pour une France libre), que ses positions politiques rapprochaient de celles de Jean-Marie Le Pen.

Ce dernier se donnait pour but non seulement de défendre l'identité française au Parlement européen, mais aussi et peut-être surtout de mesurer son audience nationale et de rappeler à l'opposition RPR-UDF que la force qu'il représentait était devenue, le 24 avril 1988, l'une des composantes principales et incontournables du paysage politique ; et donc que, sans le concours qu'il lui proposait et qu'elle rejetait, elle ne pourrait jamais redevenir majoritaire.

Ces listes représentaient tous les courants politiques traditionnels, même les plus ténus, de l'opinion publique française. La surprise vint de l'entrée dans l'arène de trois forces nouvelles qui avaient pour point commun la volonté affichée de défendre la nature. Deux d'entre elles étaient pourtant antagonistes : celle des protecteurs de la vie animale dont le plus ardente protagoniste, Arlette Alessandri, condamnait notamment la vivisection ; celle des chasseurs et pêcheurs qui rappelaient, sous l'impulsion d'André Goustat, qu'ils contribuaient à réguler la croissance d'une faune trop prolifique et par là même menaçante pour la survie des espèces végétales, qu'elles soient ou ne soient pas cultivées.

Refusant de se situer à droite ou à gauche de l'échiquier électoral, seule la dernière de ces forces, celle des Verts d'Antoine Waechter, donnait à son combat une dimension politique. Désireux de se compter au plan national au lendemain des succès qu'ils avaient remportés localement lors des municipales, ces derniers n'étaient pas antieuropéens comme les « Grünen » allemands. Mais hostiles à l'Europe de l'Acte unique fondée sur des alliances militaires et sur des ententes économiques, ils voulaient lui substituer une Europe des régions et des peuples qui aurait pour ciment le principe de solidarité, alors que les jeunes de la liste IDE, emmenée par Franck Biancheri, entendaient promouvoir une Europe transnationale.

Quinze listes en compétition pour quatre-vingt-un sièges à pourvoir, c'était beaucoup. Quinze protagonistes pour débattre de l'Europe devant les caméras de TF1, c'était trop. Laurent Fabius refusait un duel au sommet avec Valéry Giscard d'Estaing sous prétexte de ne pas valoriser la liste RPR-UDF au détriment de celle conduite par Simone Veil en qui il voyait une alliée potentielle. Y faire participer cette dernière et Philippe Herzog, c'était reconstituer « la bande des quatre » en la caricaturant du fait de l'absence de tout représentant du RPR. Il fut donc décidé d'y intégrer Jean-Marie Le Pen et Antoine Waechter. Le Front national et les Écologistes faisaient leur entrée dans la cour des grands.

De l'aveu même de l'un de ses participants, Valéry Giscard d'Estaing, l'émission du 8 juin 1989 fut « peu passionnante » et même « un peu contraignante ». Elle accentua la lassitude des Français, appelés à prendre le chemin des urnes au minimum pour la sixième fois depuis le 24 avril 1988.

La démocratie remise en cause ?

Ils répliquèrent par un taux d'abstention exceptionnellement massif : 51,27 %, significatif du peu d'intérêt qu'ils portaient non seulement à l'Europe mais aussi à la classe politique. Ses quatre forces dominantes depuis 1978 (RPR, UDF, PS et PCF) ne recueillaient même pas le tiers des inscrits (34,48 %) et devaient céder les 3e et 4e places aux deux principaux trouble-fête de la campagne : le Front national (5,55 %) et les Écologistes (5,01 %).