Traduite par un taux d'abstention de 27,18 %, taux jamais atteint depuis la Libération lors d'élections municipales, cette discordance entre les citoyens et le monde politique était-elle un mal passager ou une maladie pernicieuse qui minait les bases mêmes de la démocratie française ? Les élections européennes du 18 juin fournirent un élément de réponse ; le scrutin de liste et la répartition des sièges à la proportionnelle dans le cadre national permettaient à toutes les listes dépassant le seuil fatidique des 5 % d'envoyer des représentants siéger au Parlement de Strasbourg.

L'Europe : enjeu ou alibi ?

L'enjeu était considérable puisque la nouvelle Assemblée devait dessaisir les Parlements nationaux de leurs prérogatives économiques et sociales, fussent-elles de caractère politique, à partir du 1er janvier 1993. Pourtant, les 15 et 18 juin, leurs électeurs devaient se rendre aux urnes non pour voter pour ou contre l'Europe, mais pour approuver ou pour sanctionner la majorité en place.

En France, cette dérive nationale fut d'autant plus nette et la campagne électorale d'autant plus vive que le scrutin du 18 juin figerait pour quatre années les rapports de force entre la majorité et l'opposition, aucune consultation n'étant inscrite au calendrier avant les législatives de 1993.

À gauche, le problème était relativement simple puisque la représentation proportionnelle libérait le parti communiste de son alliance contraignante avec un parti socialiste dont la préoccupation majeure était de s'affirmer comme la première force politique française. Cet objectif ne pourrait être atteint qu'avec le concours de voix centristes qui n'apporteraient leurs suffrages qu'à une liste conduite par des socialistes d'ouverture. Dès janvier, leurs noms étaient propagés par la rumeur publique : Michel Rocard, qui démentait le 6, Jacques Delors, qui laissait planer l'incertitude le 8.

À droite, la situation était plus complexe. Le RPR et l'UDF devaient en effet faire un choix : ou présenter des listes séparées pour mesurer leur poids respectif au sein de l'opinion publique et pour ratisser plus large, comme le préconisait encore François Léotard dans une interview publiée dans le Monde du 27 janvier, avec la perspective, quasi assurée, de faire le jeu du parti socialiste ; ou constituer une liste unique de l'opposition, comme le souhaitait déjà Valéry Giscard d'Estaing, tirant ainsi tous les enseignements du succès relatif mais inespéré remporté par les candidats de l'URC (Union du Rassemblement et du Centre) les 5 et 12 juin 1988. La détermination du CDS de ne pas lier son destin électoral à celui du RPR, au risque de briser par contrecoup l'UDF, rendait aléatoire son renouvellement et paraissait lourde de conséquences pour l'après-18 juin.

Au terme de deux mois de suspense, la situation se décanta brutalement au lendemain du 19 mars, avant même que les hommes politiques n'aient eu le temps d'analyser toutes les conséquences des élections municipales et leur réelle portée.

L'entrée en scène des protagonistes

À gauche, la désignation des têtes de liste ne donna guère lieu à débat. Nourrie sans doute d'inspirations élyséennes, la candidature de Laurent Fabius était officialisée par le PS le 24 mars et le 30, celle, virtuelle, de Philippe Herzog, libérait le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, des risques d'une aventure européenne.

À droite, en revanche, le refus définitif du CDS, Pierre Méhaignerie, annoncé dès le 20 mars, de faire liste commune avec le RPR, suscitait une querelle des anciens et des modernes. Pour tenter d'éviter qu'une liste du centre n'entre en concurrence avec celle de l'union UDF-RPR que devait conduire Valéry Giscard d'Estaing, rallié le 5 avril par François Léotard, les rénovateurs de l'opposition annonçaient, le 6, leur intention de constituer, en dehors et par-dessus les clivages partisans, une liste de jeunes quadragénaires excluant les chefs historiques de leurs formations politiques respectives.

Le caractère contradictoire de leur démarche les condamnait à l'échec. Désireux de maintenir à tout prix l'union de l'opposition, comme ils l'affirmèrent dans leur communiqué du 9 avril, comment auraient-ils pu prendre le risque de s'exclure eux-mêmes soit du RPR, soit de l'UDF, dont les conseils nationaux réaffirmaient successivement, le 8 et le 13, leur soutien à la liste d'Union de l'opposition, dirigée par Valéry Giscard d'Estaing et par Alain Juppé ? Pour éviter de s'entre-déchirer, il ne leur restait plus qu'à se retirer sur l'Aventin et à laisser les centristes confier le 27 la tête de leur liste européenne à une libérale, Simone Veil.