C'était oublier la force des pesanteurs sociologiques qu'accroissait une longue pratique de la bipolarisation. Portés par un électorat qui comprenait mal ce qui pouvait bien séparer chacune des trois composantes de l'opposition, ses dirigeants retrouvèrent tout naturellement le chemin de l'unité, non sans avoir préalablement levé l'hypothèque du Front national avec lequel le bureau politique du RPR s'était interdit, le 8 septembre 1988, de contracter toute alliance, fût-elle simplement locale.

Les primaires sauvages furent donc relativement peu nombreuses au sein de l'opposition (Aix-en-Provence, Brest, Strasbourg), ce qui permit à cette dernière de ne perdre le contrôle que de 32 municipalités de plus de 20 000 habitants les 12 et 19 mars. Elle pouvait se déclarer satisfaite d'un résultat que couronnaient les grands chelems remportés respectivement dans les neuf secteurs de Lyon et, pour la deuxième fois, dans les vingt secteurs de Paris par deux des principaux responsables du RPR : Michel Noir, et surtout Jacques Chirac.

Conçue, à l'origine, par Gaston Defferre pour permettre au parti socialiste de conquérir quelques mairies d'arrondissement à partir desquelles il aurait pu affaiblir de l'intérieur les deux principales forteresses municipales de ses adversaires, la loi dite PLM (Paris-Lyon-Marseille) avait eu un effet boomerang à leur avantage. Pire, elle avait facilité dans les huit secteurs de la métropole phocéenne le succès du maire sortant, Robert Vigouroux, qui avait été exclu du PS le 4 janvier 1989 pour avoir refusé de s'effacer au profit du candidat officiel de ce dernier, Michel Pezet.

Du fait de ses divisions internes, l'Union de la gauche ne parvenait pas à reconquérir toutes les places perdues lors des élections municipales de 1983. Élargie aux centristes de la majorité présidentielle, elle n'avait rassemblé au premier tour que 48,51 % des suffrages exprimés, contre 47,73 % à l'opposition ressoudée. Et, au soir du second tour, elle contrôlait 204 villes de plus de 20 000 habitants, ses compétiteurs, maîtres de 180 mairies, faisant presque jeu égal avec elle.

La bipolarisation en question

Cette stabilité du rapport des forces entre la droite et la gauche qui perdurait au moins depuis 1978 traduisait-elle une stabilité analogue du corps électoral ? Il était tout aussi imprudent de l'affirmer que de le nier. En apparence, la bipolarisation restait l'une des données constantes de la vie politique française. La campagne municipale avait pourtant révélé des tendances à la fissuration de chacun des deux blocs. À droite, certains membres du CDS, parfois même du PR, tel Jean-Pierre Soisson à Auxerre, avaient fait liste commune avec des socialistes. À gauche, les dissensions avaient été plus graves et s'étaient traduites par un effritement continu des positions du PCF, qu'affaiblissait de l'intérieur l'action des « rénovateurs », et par une aggravation au sein du PS des divergences entre partisans et adversaires d'une ouverture au centre qui mettait un terme à l'Union de la gauche à laquelle restaient fidèles un grand nombre de dirigeants et de militants.

Mais les modalités du scrutin à deux tours ne permettaient pas de mesurer l'audience exacte de deux forces politiques qui disposaient de trop peu de moyens en hommes et en argent pour présenter des listes de candidats dans toutes les communes françaises : le Front national de Jean-Marie Le Pen, qui semblait rallier plus de 10 % de l'électorat dans le Midi méditerranéen et dans l'Est alsacien ; les écologistes d'Antoine Waechter, qui devaient recueillir en moyenne 7,7 % des suffrages exprimés dans les villes de l'Ouest armoricain et de l'Est jurassien ou alsacien. Longtemps marginales, elles avaient perturbé le jeu de « la bande des quatre », ce qui s'était traduit le 19 mars, par la multiplication des triangulaires, voire des quadrangulaires, encore exceptionnelles au second tour en 1983.

Un tel phénomène qui se manifeste, sous sa double forme, dans un même électorat urbain à Colmar, à Mulhouse, à Strasbourg, contribuant à l'échec, dans ces deux dernières villes, de municipalités en place depuis plusieurs décades, traduit un vote de rejet. Émis par une fraction notable du corps civique d'origine populaire, il ne fait que manifester l'hostilité, voire le désespoir de nombreux Français à l'encontre de formations qui diffèrent moins par l'action que par le discours et qui n'ont su renouveler ni leurs hommes, ni leurs méthodes.