Panorama

Introduction

Ce fut longtemps une année un peu solennelle et poussivement festive, branchée sur une nostalgie confuse et obligée. Le ministre le plus talentueusement léger du gouvernement s'était laissé affubler d'un titre pesant qui en disait long : Jack Lang, ministre de la Culture, des Grands Travaux et du Bicentenaire... C'est bien de tout cela qu'il s'est agi. Avec des bonheurs divers, des déceptions attendues et des émotions inespérées. Ce serait l'année des TGT (très grands travaux), de la TGB (la très grande bibliothèque) et aussi du nouveau TGV (train à grande vitesse) atlantique. De bien vilains sigles pour des projets et des réalisations somme toute hardis et beaux, projetant allègrement la décennie finissante dans le siècle à venir.

L'année des TGT...

Cela commença au printemps par des « Oh » et par des « Ah ». Une foule en extase contraignait le président de la République à s'échapper par le bureau du ministre des Finances, encore situé dans les parages. On inaugurait la pointe scintillante de l'iceberg émergeant du Grand Louvre, la porte triomphale du nouveau musée. Les associations de détracteurs, pourtant rugissantes, soudain renonçaient et s'esbaudissaient devant la puissante élégance de la Pyramide, de l'architecte sino-américain Ieoh Ming Pei, flanquée de ses plus discutables bambins, les trois pyramidions. La Pyramide avait fait couler beaucoup d'encre noire chargée d'insultes. Prouvant une fois encore la géniale versatilité des Français, elle était, dès le jour de son inauguration, le 29 mars, plébiscitée.

Comme le fut, en juillet, le nouveau repère pour l'au-delà de la ville, la Grande Arche de la Défense. Large de 106 mètres, haute de 110, pesant 300 000 tonnes, on n'avait jamais vu de géante aussi gracieuse, aussi évidente. Le toit de cet objet parfait, dû au Danois Otto von Spreckelsen, accueillait aussitôt, en un pléonasme hautement symbolique, le sommet des pays industrialisés.

Légèrement décentrée par rapport à l'axe mythique qu'elle devait à l'origine fermer, l'Arche de la Défense dépasse ainsi ses plus nobles ambitions. Elle ne clôt pas la perspective historique qui mène à la Pyramide du Louvre, elle donne l'image d'une limite et suggère la continuité. Elle ferme Paris et elle l'ouvre. Elle est mieux que belle et fait quasiment l'unanimité.

Tel n'est pas le cas d'un autre grand dessein du président de la République, le malheureux Opéra Bastille, construit par le Canadien Carlos Ott. Inauguré le 13 juillet devant un parterre de chefs d'État par un court concert lyrique de belle allure, qui rassura sur ses potentialités acoustiques et scéniques, il n'ouvrira officiellement ses portes qu'en mars 1990 avec quelques représentations des Troyens de Berlioz, mais restera longtemps marqué, on le craint, par sa naissance tumultueuse et si peu harmonieuse. Dès qu'il commença à s'élever du sol, on le compara aimablement à « un rhinocéros coincé dans une baignoire à sabot ». Désormais achevé, il évoque pour les plus optimistes un palais des Congrès d'un pays de l'Est et pour les plus dépressifs un établissement géant de bains douches. Ces jugements sont sans doute exagérés et seront atténués par le temps et par l'usage.

Mais il faut bien admettre que l'architecture, même discutable, n'est pas la seule responsable du mouvement d'antipathie suscité par l'Opéra Bastille. Tandis que tous les corps de métier se dévouaient sur le chantier, pendant les travaux, le psychodrame continuait. Daniel Barenboïm, son directeur musical, était remercié, Patrice Chéreau et Pierre Boulez démissionnaient de l'Association des théâtres de l'Opéra de Paris par solidarité avec le chef d'orchestre, Pierre Boulez qui écrivait : « L'Opéra Bastille, dans son état actuel, me fait irrésistiblement et malheureusement penser au couteau de Lichtenberg, ce fameux couteau sans lame auquel il manque le manche... »

Aujourd'hui, la polémique est apaisée, l'Opéra Bastille attend l'épreuve de vérité : la légitimité que lui donnera le public. On a envie de dire : laissons-le vivre.... Comme on a envie de dire « laissez-la naître » aux grincheux qui discutent déjà du principe scientifique choisi pour l'édification et l'organisation de la future TGB. Faut-il montrer les livres ? Faut-il les enterrer ? Faut-il articuler la mémoire française autour de l'année 1945 et fixer là la césure entre les volumes qui demeurent à la BN asphyxiée et ceux qui iront dans la nouvelle structure ? Le débat n'est pas clos. Mais la Bibliothèque de France voulue par François Mitterrand sera. Et elle sera, après des discussions féroces sur l'emplacement adéquat, implantée sur un terrain de sept hectares à Tolbiac, entre la Seine et les voies ferrées de la gare d'Austerlitz. Pour déterminer qui la construirait, 250 dossiers (dont 140 étrangers) avaient été déposés. Un jury en avait sélectionné vingt. Un architecte français de trente-six ans, connu (?) pour son usine des eaux d'Ivry-sur-Seine, Dominique Perrault, remporta le concours. Et on s'en sentit tout heureux. Non pas par mesquin chauvinisme, mais parce que les quatre tours de verre de Perrault, formant les angles d'une place « aussi grande que celle de la Concorde », sont d'une transparence altière et lumineuse comme le savoir qu'elles renfermeront...

... du Bicentenaire...

Ah ! le Bicentenaire... Il avait commencé par ne pas porter chance à ses chargés de mission – Jean-Michel Jeanneney, courtois, discret, sut apprivoiser le sort et gérer l'ingérable, la célébration consensuelle de la Révolution française. Ça commence plutôt piano. On a beau, le 1er janvier, donner le coup d'envoi par un envol de montgolfières parties des quatre-vingt-dix-huit chefs-lieux des départements de France et d'outre-mer, on a beau reconstituer, à Versailles, la procession d'ouverture des États généraux de 1789, Maurice Béjart a beau investir la verrière du Grand Palais avec « 1789... et vous », on a beau exposer à Caen le soulier de Marie-Antoinette et, dans chaque bâtiment public, trois assiettes en faïence providentiellement marquées du bonnet phrygien, la fièvre révolutionnaire a du mal à se ranimer.