En 1973, plus d'un demi-siècle après la découverte d'Onnes, la plus « haute » température atteinte en supraconductivité est encore voisine de – 250 °C, avec des alliages de niobium-germanium élaborés par une équipe américaine des Bell Labs. À l'époque, chercheurs et industriels butent toujours sur les contraintes dues à l'emploi de l'hélium liquide, produit coûteux et délicat à mettre en œuvre qu'on souhaiterait pouvoir remplacer par l'azote liquide à – 196 °C, cinquante fois moins cher et très largement utilisé dans tous les laboratoires.

Jusqu'à ces dernières années, les Squids, tout comme les autres appareils de mesure et les aimants supraconducteurs, devaient donc être refroidis à – 269 °C avec d'encombrants cryostats à l'hélium. En 1987, on observe en France un progrès significatif : la mise au point des premiers Squids à l'azote liquide par la division Activités sous-marines de Thomson-Sintra en collaboration avec un laboratoire CNRS de l'université de Caen : le Crismat. Ces appareils, beaucoup plus sensibles que ceux de la génération précédente à l'hélium, vont probablement bouleverser la lutte antisous-marine. Ils doivent aussi trouver des applications civiles en sismique et surtout en médecine ou en biologie pour l'étude des influx circulant dans le cerveau, le cœur et les muscles. Ces nouveaux Squids sont l'une des premières retombées industrielles en microélectronique de cette nouvelle supraconductivité dite à « haute température » – en réalité nous sommes toujours à – 196 °C ! –, qui, depuis deux ans, est présentée comme la plus importante découverte après l'invention du transistor en 1948 et du laser en 1960.

C'est précisément l'équipe des chercheurs du Crismat de Caen, dirigée par Bernard Raveau, qui est à l'origine de cette découverte. Ce laboratoire étudiait depuis 1979 des céramiques à base d'oxyde de cuivre dopées au baryum et au lanthane – on les désigne sous le nom générique de Ba-La-Cu-O – pour fabriquer des nouveaux capteurs de pression ou des électrodes de condensateurs (Claude Michel et Bernard Raveau ont décrit en détail leurs travaux sur les pérovskites dans « De nouveaux supraconducteurs », Pour la science, novembre 1987). Ces matériaux dont la structure cristalline tétragonale est appelée pérovskite ont été synthétisés à Caen en 1981 et ont fait l'objet de publications scientifiques en 1985. Leurs propriétés – ils se comportent électriquement comme des métaux – ont alors intrigué deux physiciens du centre de recherche IBM de Zurich, Georg Bednorz et Alex Müller. Au cours de l'année 1986, ces derniers ont mis en évidence, sur des matériaux de la même famille, des propriétés supraconductrices à – 243 °C. Ce petit pas de 7 °C, par rapport au précédent record de 1973 avec les alliages métalliques, allait pourtant ouvrir la porte à une « nouvelle » supraconductivité dite « à haute température » qui a valu aux deux chercheurs d'IBM le prix Nobel de physique en octobre 1987.

Cette découverte (George Bednorz et Alex Müller ont dressé le bilan de leurs travaux dans « La découverte de la supraconductivité à haute température », la Recherche, n° 195, janvier 1988. Voir également « La réinvention de la supraconductivité », par Jean-Marie Tarascon et Roland Combestot dans la Recherche, n° 191, juillet-août 1987, et « La supraconduction super-star », par Sven Ortoli, Science et Vie, décembre 1987.) a aussi donné le départ d'une course spectaculaire vers la supraconductivité à température ambiante : en mars 1987, les professeurs Chu de l'université de Houston et Wu de l'université d'Alabama, en substituant l'yttrium au baryum dans ces oxydes pérovskites, ont atteint – 183 °C : le seuil de l'azote liquide était enfin franchi !

L'emploi du bismuth et du strontium a récemment permis d'améliorer cette température : le record « officiel » est de – 148 °C avec des composés au thallium, mais qui sont difficilement exploitables, étant donné la haute toxicité de ce métal.