Celui qui a été appelé le « fossoyeur » du cinéma, avant qu'on le laisse prendre part au capital de la Cinq, celui qui a sa place en France selon François Léotard, tire 70 p. 100 de son chiffre d'affaires global des médias, dont 55 viennent de l'audiovisuel. Son holding, Fininvest, regroupe encore des activités financières, d'assurances et immobilières. Son autre axe de développement vertical intègre un journal d'informations régionales, un hebdomadaire de télévision et une revue de cinéma... Le souci de la synergie. D'autant qu'en matière audiovisuelle, Fininvest est un touche-à-tout : technique avec vente de matériel, production film et TV, centrale d'achat et de vente, disques, trois chaînes en Italie, la Cinq en France, Multilingual TV Network au Canada, des stations régionales, l'équipe de football de Milan, ainsi que des salles de cinéma... Berlusconi a des ambitions mondiales qui passent dans un premier temps par un développement européen pouvant servir de plate-forme de production susceptible de rivaliser, à terme, avec les États-Unis. En six ans, l'individu est parvenu à devenir une légende, vivante et incontournable.

Deux autres géants, enfin, s'activent sur le terrain : Robert Maxwell et Rupert Murdoch. Le premier se cache derrière une société familiale enregistrée au Liechtenstein. Sa diversification passe par l'écrit avec la maison d'édition Pergamon Press, les imprimeries British Printing Communications Corporation (BPCC), ainsi que le groupe Mirror Newspapers, depuis 1983 (10 millions d'exemplaires, dont le Daily Mirror). Côté télévision, Maxwell s'est fortement diversifié vers l'audiovisuel en moins de deux ans : il a racheté des réseaux de câble, rebaptisés British Cable Services (BCS), devenant ainsi le plus grand opérateur en Grande-Bretagne ; il a repris Ten, chaîne payante anglo-américaine, devenue Mirror Vision ; il a acquis 51 p. 100 des parts de Première et se trouve, ainsi, face à face avec son plus farouche concurrent, Rupert Murdoch, qui participe aux autres 49 p. 100 ; il participe enfin au Consortium européen qui vise une place sur un satellite. Ce qui ne les empêche pas, l'un et l'autre, de chercher à implanter d'autres chaînes sur le sol britannique. La seule faiblesse de Maxwell, avec qui tout géant devra compter, est sa carence de catalogue et de structure de production.

Rupert Murdoch, de son côté, n'a pas une bonne réputation. Il n'en a que faire. D'autant qu'il l'a cherché. Sa technique de développement est simple : commencer par racheter des entreprises au bord de la faillite. Puis, appliquer la loi rédactionnelle des trois « S », « sexe, sang et scandale », au sein des 80 journaux de son groupe (The Times excepté), répartis entre l'Australie, les États-Unis et la Grande-Bretagne, Partant de ces titres, il prend le virage de l'audiovisuel. L'aboutissement est colossal : c'est d'abord le rachat de la Twentieth Century Fox, mégastructure de production TV et cinéma, et ensuite l'acquisition des stations du réseau Metromedia qui lui permettront de monter un quatrième réseau face aux trois géants américains, ABC, CBS et NBC.

Rupert Murdoch est partout. Il vient de faire le grand ménage dans ses titres londoniens. Par ailleurs, il contrôle Sky Channel, la chaîne par satellite la plus diffusée en Europe. Il ressemble quelque peu à Robert Hersant : ils ont tout et veulent le reste. Quitte à s'endetter. Cela fait partie des personnages et de leur légende.

Restent les prétendants : Hachette, qui vise TF 1, Jimmy Goldsmith, PDG de la Générale Occidentale, patron de l'Express, « raider » spécialiste des OPA et des OPE (Presses de la Cité), au détriment de Carlo De Benedetti, Goodyear, ratée à la dernière minute, et qui regarde vers la 5, ou encore Robert Hersant... qui ont compris que sans la télévision il n'y a point de stature internationale.

Une industrie lourde... de conséquences

Cette nouvelle donne du paysage médiatique européen, ce bouillonnement des groupes du Vieux Continent, devenus des géants, cette activité de production et de diffusion devenue une véritable industrie, imposent une réalité : l'Europe de l'audiovisuel est en marche. L'Atlantique a toutes les chances de n'être plus un obstacle, mais dans le sens Europe-États-Unis. La tendance s'est inversée. D'autant que les principaux réseaux américains sont en proie à des difficultés financières débouchant sur des coupes sombres et des politiques de rigueur draconiennes... Une chance pour l'Europe.