La force de la CLT est également sa faiblesse : ses structures financières de base sont d'origine multinationale, partagées entre la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne et la France. Le principal actionnaire est belge. C'est le groupe bancaire Albert frère, associé à la Compagnie financière Bruxelles-Lambert, qui contrôle, directement et indirectement, 54 p. 100 du capital. La France est représentée par le groupe Havas et par d'autres porteurs, tels que Paribas, Moët-Hennessy (dont les parts lui ont été cédées par Hachette après son acquisition d'Europe 1-Communication), la Compagnie des compteurs Schlumberger, etc. Depuis peu, le capital s'est ouvert à l'Allemagne, via Bertelsmann. Cette situation n'est pas sans poser des problèmes. D'abord, parce que l'extension du groupe peut se heurter aux intérêts contradictoires de ses actionnaires. Ensuite, parce que la CLT n'a pas une assise financière très étendue. Son point fort est constitué sans aucun doute par son savoir-faire, mais aussi par la présence d'Albert Frère, hier passif, aujourd'hui fermement décidé à faire progresser la Compagnie. Celle-ci a d'ailleurs procédé à une augmentation de capital, dans l'optique de la concession de la cinquième chaîne française qu'elle recherche, avec Paribas et le groupe Havas. La CLT a conduit une diversification timide vers l'écrit (Télé Star par exemple), mais a poussé très loin son implication dans l'audiovisuel en se diversifiant en amont (production télé, vidéo, cinéma, câble, télématique) et en aval (distribution et diffusion). La plus grande partie de son volume d'affaires provient de son activité radio (RTL) et de la régie publicitaire qui en découle. L'ambition d'Albert Frère de développer l'activité télévisée de la CLT est réelle : en octobre 1985 naît une structure de réflexion, Média International, qui s'est ouverte à Rupert Murdoch. Ce type de structure laisse présager des associations entre géants qui, inévitablement, excluront les initiatives individuelles.

Une stature internationale

Le plus gros actionnaire français de la CLT, le groupe Havas, représente l'exemple parfait du groupe multimédias. Le premier groupe de publicité français, dont l'État est actionnaire à 50,26 p. 100, sera privatisé, mais non démantelé, ni vendu par « appartements ». Ce qui lui aurait totalement coupé les ailes dans son développement vers l'international. En effet, Havas intervient dans tous les secteurs de la communication : la publicité d'abord, avec sa filiale à 45 p. 100, Eurocom, premier holding français parmi les agences conseils en publicité, deuxième en Europe et parmi les vingt premières agences aux États-Unis depuis l'alliance entre Havas Conseil et Marsteller, filiale de Young and Rubicam (n° 1 aux États-Unis et n° 2 mondial), ayant donné naissance à HCM et permis la mise en place d'une entité de 500 millions de dollars.

Ainsi donc, Havas intervient à tous les carrefours de la communication : édition (35 p. 100 de la Compagnie européenne de publications), conseil publicitaire, régie (40 p. 100 de la presse écrite en France), télématique, cinéma, affichage (Avenir), audiovisuel (CLT et 25 p. 100 de Canal Plus). Havas a déjà une expérience audiovisuelle avec Canal Plus. Le lancement fut laborieux, les déficits considérables, mais c'est aujourd'hui un succès (près de 1 500 000 abonnés à la fin de 1986, ainsi qu'un bénéfice dépassant les 150 millions de francs). À tel point que le président de la chaîne, André Rousselet, envisage de lancer des « déclinaisons » ciblées de Canal Plus, telles que Canal Plus Junior.

Autant peut-on être discret au sein du groupe Bertelsmann, ou diplomate du côté de la CLT, autant Silvio Berlusconi semble avoir un besoin maladif de médiatisation et goûter le succès avec arrogance. Il est vrai qu'il s'est développé à l'arraché. Surtout que rien ne le prédisposait, au départ, à l'audiovisuel. Partant de la construction et de l'immobilier, Sue eminenza a conquis le marché de la télévision privée en Italie en cinq ans, profitant du flou juridique de la législation et des difficultés financières de ses concurrents. Ses trois chaînes drainent, depuis, 80 p. 100 de l'audience privée de la télévision. Et il ne lui aura fallu qu'un an pour se déployer en Europe, tout en observant de près l'Amérique du Nord. La stratégie de Silvio Berlusconi est simple : pousser la logique commerciale à son maximum.