L'autre aspect important de la modification des rapports salariés-employeurs est l'apparition de plus en plus fréquente d'un système de rémunération à deux niveaux. La situation du personnel en place n'est pas contestée, mais les conditions d'embauche des nouveaux employés sont moins favorables. Cette mesure est destinée à restaurer la compétitivité des entreprises. En 1984, plus de 8 % des conventions collectives renouvelées avaient intégré cette clause, qui constitue, à terme, une menace pour le personnel le plus ancien s'il n'est pas capable de préserver ses droits acquis.

La tendance au renouveau de l'entreprise apparaît aussi dans les autres pays occidentaux, bien que ses manifestations soient moins spectaculaires. En Grande-Bretagne, et à un moindre degré en RFA, on constate une volonté de l'État de réduire ses participations directes dans les entreprises. La politique de dénationalisation du gouvernement de Mme Thatcher en est l'illustration. Encore faut-il noter qu'elle se heurte à des obstacles économiques et sociaux. Les syndicats s'opposent à ces actions. En outre, seules des entreprises bénéficiaires peuvent espérer trouver des acquéreurs. Si l'on n'y prend garde, le secteur public britannique risque de ne plus être constitué que de firmes non rentables et fortement syndiquées.

Dans les pays de l'Est eux-mêmes, on assiste à une timide réhabilitation du rôle de l'entreprise par rapport à celui de l'État. Les circonstances sont trop différentes pour que l'on puisse y voir une analogie réelle avec la situation des nations occidentales. En particulier, les pays socialistes ne peuvent en aucun cas accepter les transformations économiques et sociales indissociablement liées au renouveau de l'entreprise. Mais les défaillances de la planification centralisée autoritaire ne peuvent empêcher l'émergence de cette tendance de fond.

La modification des comportements

Reconnaître l'importance du rôle de l'entreprise et la nécessité de son autonomie de décision, c'est aussi accepter les évolutions économiques et sociales qui en résultent. Il doit d'abord y avoir une modification du comportement à la fois des dirigeants et du personnel des entreprises. Pour les premiers, la disparition de la contrainte publique est aussi celle du garde-fou que constituait l'État en cas de difficultés. Il faut qu'ils soient prêts à assumer la totalité des conséquences des décisions qui ont été prises, et de renoncer à recourir à l'aide publique dans des circonstances défavorables. Pour les employés, il doit y avoir prise de conscience du fait que leur situation est liée à celle de la firme. Il leur faut perdre l'habitude de revendiquer des avantages en situation favorable et de refuser des sacrifices pendant les périodes difficiles.

D'autre part, l'autonomie de décision de l'entreprise implique l'indépendance de son financement. Celui-ci peut être prélevé sur les résultats ou obtenu sur le marché. L'autofinancement étant en règle générale insuffisant, le renouveau de l'entreprise n'est possible que s'il y a développement quantitatif et qualitatif des marchés financiers. En l'absence d'intervention publique, l'allocation des ressources est liée aux performances. Une sanction immédiate à l'efficacité des décisions prises de manière autonome existe donc.

Le rôle accru des marchés financiers et en particulier boursiers n'est pas sans générer des effets que certains considèrent comme pervers. Il s'agit notamment du recours aux OPA comme moyens, non pas de prendre le contrôle effectif d'une société, mais de réaliser un profit spéculatif à court terme. Certains financiers américains – les raiders – sont passés maîtres dans cette pratique. Ils achètent en Bourse un bloc important d'actions d'une société, puis lancent contre elle une OPA. Ils acceptent ensuite de renoncer à l'OPA à condition que la société rachète les actions détenues par le financier (ce qui est permis par la législation américaine) à un prix sensiblement supérieur à leur cours d'acquisition. Des hommes d'affaires comme T. Boone Pickens et Carl C. Icahn se sont ainsi rendus célèbres en 1985. En adoptant des statuts appropriés, les sociétés cotées en Bourse ont pu réduire le risque de déclenchement de telles opérations. Elles n'ont provoqué qu'une perturbation transitoire des marchés financiers.