La remise en cause de l'intervention accrue de l'État s'explique par la nature même des moyens utilisés. Le ralentissement de la croissance entraîne une diminution des ressources disponibles. Sauf à augmenter la pression des prélèvements publics, les possibilités de redistribution sont considérablement réduites. Or il est bien évident qu'en période d'évolution défavorable de l'activité, les agents économiques ne sont pas prêts à accepter sans regimber une augmentation des charges obligatoires et donc une réduction de leur revenu disponible.

Plus grave encore est le fait que les réglementations, élaborées et acceptées dans un environnement en expansion, constituent un obstacle à l'adaptation de l'activité aux nouvelles conditions économiques. Une caractéristique de ces règlements est qu'ils ont été conçus dans une perspective d'expansion continue. Aucune provision n'a été prévue pour assurer une flexibilité à la baisse, ou favoriser les transformations qualitatives rendues nécessaires par le nouvel environnement.

Le ralentissement de la croissance a été à l'origine de la contestation du rôle de l'État, providence ou non. L'incapacité de l'État à continuer d'assurer la mission qu'il avait remplie en période de croissance – garantir à chacun un minimum de bien-être et en même temps une rémunération, monétaire ou non, en relation avec ses efforts et ses capacités – a conduit à mettre l'accent sur le rôle moteur de l'entreprise. Selon les pays, les modalités retenues ont revêtu des formes diverses. Mais, dans tous les cas, les effets qui en ont découlé ont été, dans leur nature, si ce n'est dans leur intensité, similaires.

L'imagination au pouvoir

Le poids des institutions et l'inertie des comportements font que le renouveau de l'entreprise revêt, à l'heure actuelle, des aspects différents dans les divers pays occidentaux, et encore plus dans les économies socialistes. Mais les problèmes que soulève cette évolution et les effets qu'elle entraîne restent les mêmes : les modifications économiques et sociales qui vont, à terme, en découler, sont analogues quant au fond.

Les États-Unis, où traditionnellement l'intervention de l'État est restée faible, constituent le pays privilégié du renouveau du rôle de l'entreprise. Pour un observateur français, certaines de ses manifestations peuvent paraître excessives. L'existence d'une régulation par les sanctions conduit néanmoins à nuancer ce jugement. Parmi les aspects les plus spectaculaires du retrait de l'État et de la montée du rôle des entreprises figurent la remise en cause, par le président Reagan, de programmes d'aide sociale et le refus d'impôts par les électeurs, mais aussi la déréglementation de certaines activités et les modifications profondes des rapports entre employeurs et salariés. Ces deux derniers phénomènes sont très spécifiques de la situation américaine.

La déréglementation consiste à rétablir la concurrence dans des secteurs où les activités étaient auparavant contrôlées par le gouvernement fédéral, les États ou les collectivités locales. Les télécommunications à longue distance et les transports aériens ont notamment été l'objet de telles mesures. Les résultats ont été spectaculaires : apparition de nouvelles entreprises, mais aussi faillites retentissantes, diminution des coûts pour les usagers, mais aussi complexité accrue de l'emploi du téléphone et retards – parfois importants – dans les transports aériens. Le remplacement du contrôle institutionnel par l'initiative privée n'a pas toujours eu, à court terme, tous les effets bénéfiques qui en étaient attendus. Une période d'adaptation turbulente est inévitable. Sa durée ne semble pas encore pouvoir être précisée.

La modification des relations employeurs-salariés se manifeste à deux niveaux. Il y a d'abord la remise en cause, parfois provisoire, des avantages acquis par le personnel de manière à assurer la survie de l'entreprise et à éviter des licenciements massifs. De telles mesures ont été acceptées par le salarié dès lors qu'existait un espoir raisonnable de redressement de l'entreprise. Il en a été ainsi, par exemple, pour Eastern Airlines et Chrysler. Il apparaît justifié, pour les employés, d'accepter des sacrifices temporaires afin de rétablir la situation de l'entreprise et d'obtenir ainsi des garanties en termes d'emplois et de rémunérations futures. Le corollaire en est naturellement l'obtention d'avantages supplémentaires à l'issue de la période difficile. Les augmentations de salaires et les primes concédées aux employés de Chrysler en octobre 1985, à l'issue d'une grève, peut-être plus symbolique que réelle, en sont l'illustration.