Puisqu'on doutait de la gauche socialiste en matière de libertés, François Mitterrand allait pouvoir montrer à l'opinion qu'au contraire sa majorité était toujours soucieuse d'élargir le champ des libertés, de leur ouvrir de « nouveaux espaces », dans l'un des domaines les plus quotidiennement importants pour les citoyens : la télévision.

Ainsi donc naquit l'idée, chez le président de la République, d'une ouverture de la télévision au secteur privé. Et l'on sait que, en France, ce que président veut. Encore n'est-ce pas si simple, et le principe posé au tout début d'année ne trouvera de début réel de concrétisation qu'au mois de novembre – l'accord avec MM. Seydoux et Berlusconi. Et c'est seulement au début de 1986 que de nouvelles images de télévision entreront réellement dans une partie des foyers français.

C'est que, si le principe de l'acceptation de télévisions privées est simple, la mise en place et les conséquences de ce principe de base sont éminemment compliquées, voire, dans certains cas, dangereuses. On sait que la mission d'études confiée à M. Jean-Denis Bredin avait précisément pour objet de débrouiller tous les problèmes liés à la mise sur pied de réseaux privés de télévision et de formuler des propositions dans ce domaine.

Le « rapport Bredin » débroussailla utilement le terrain, mais posa presque autant de problèmes qu'il ne permit d'en résoudre. Il rappelle tous ces textes mis au point par d'éminents serviteurs de l'État – on pense aussi au « plan Pisani » pour la Nouvelle-Calédonie – qui sont tellement pensés comme une construction juridique parfaite et compliquée qu'ils sont, de fait, inapplicables dans la réalité concrète.

Au nombre des recommandations du rapport Bredin figurait l'idée d'autoriser la création de chaînes locales, fonctionnant de 9 heures du matin à 19 h 30, et d'une ou de deux chaînes nationales, émettant, elles, de 19 h 30 à 9 heures. Un rapport confié, par ailleurs, au Conseil national de la communication audiovisuelle estima, pour sa part, qu'il n'était pas techniquement envisageable de manière fiable de créer plus d'une chaîne nationale nouvelle sur le territoire français.

Pour les raisons politiques exposées plus haut – la volonté de marquer un « coup » dans l'opinion –, le Premier ministre se prononça néanmoins en faveur de deux chaînes nationales privées.

Le psychodrame des chaînes

On ne reviendra pas ici sur les mois de négociations, de menaces voilées, d'intimidations respectives qui, pendant plusieurs mois, entre le printemps et l'automne 1985, opposa les différents auteurs d'un psychodrame mettant en présence les candidats à l'obtention des nouvelles chaînes, leurs éventuels alliés et, partenaires et les représentants de l'État. Cette période de discussions multiples a cependant été fort révélatrice des stratégies en présence.

L'idée générale retenue fut rapidement que deux chaînes nationales (couvrant en tout cas l'ensemble de la France urbaine à la fin de 1986) devaient être acceptées, mais qu'il faudrait les différencier, de manière qu'on ne se contentât point d'ajouter simplement deux chaînes, de contenu identique, aux trois du service public et à Canal Plus. Rapidement, on opta pour une chaîne « généraliste », visant tous les publics, et une chaîne « à dominante musicale », visant d'abord les jeunes.

Dans l'affaire, l'acteur central a été pendant plusieurs mois RTL, ou plutôt la société détentrice de RTL, la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT), ses animateurs luxembourgeois et son administrateur général à Paris, M. Jacques Rigaud.

On a longtemps cru – et d'abord au sein de RTL – que la CLT se verrait confier la chaîne « généraliste » par le gouvernement français. Les arguments ne manquaient pas. La CLT, société de droit luxembourgeois qui dispose du monopole d'émission depuis le grand-duché, voit participer à son capital l'État français. Celui-ci n'y est toutefois pas majoritaire : il participe, par l'intermédiaire de l'agence Havas, au groupe Audiofina, qui est l'actionnaire principal de la CLT. Toutes les décisions importantes concernant la CLT passent donc par une discussion avec l'État français, mais aussi avec cet autre actionnaire important qu'est la banque belge Bruxelles-Lambert (que dirige M. Albert Frère) et avec le gouvernement luxembourgeois.