Le premier a trait à l'indemnisation du chômage. Dans ce domaine aussi le vent de la rigueur a soufflé fort. Durant le premier trimestre, 50 000 nouveaux chômeurs sont venus grossir chaque mois les listes de l'ANPE. Incapable de faire face à l'accroissement de ses charges, l'UNEDIC est en crise. Après de laborieuses négociations entre syndicats et patronat, les gestionnaires de l'assurance chômage ont signé un protocole d'accord (CNPF et CGPME d'une part, FO, CFTC et CGC d'autre part) qui prévoit deux systèmes d'indemnisation : un régime d'assurance ouvert aux seuls chômeurs qui ont cotisé au moins six mois à l'UNEDIC ; un régime d'assistance financé par l'État dont dépendront les autres chômeurs (jeunes sortis de l'école, les femmes qui n'ont jamais travaillé, et beaucoup de travailleurs précaires). Avec des indemnités sensiblement plus faibles. La solution est bouclée le 9 janvier, et la nouvelle convention UNEDIC entre en vigueur le 1er avril. Quatre mois plus tard, au cours du mois d'août, le leader de FO, André Bergeron, également président de l'UNEDIC, lance un cri d'alarme : « Il y a de plus en plus de pauvres en France. » Le débat sur les « nouveaux pauvres » ne va cesser de s'amplifier. Au centre de la polémique figurent les 900 000 demandeurs d'emploi privés de tous droits à indemnisation, dont une bonne moitié du fait des réformes successives de l'UNEDIC. Mais, globalement, il y a en France un million de familles qui vivent avec seulement 37 F par personne et par jour. Le Conseil des ministres du 17 octobre décide de mettre en place un plan de secours d'urgence pour combattre le phénomène dans ses manifestations les plus aiguës. Le soir même, lors de son premier quart d'heure télévisuel baptisé « Parlons France », le Premier ministre peut détailler ces mesures qui coûteront 500 millions en année pleine. Tout en soulignant que l'État n'a pas à se substituer aux élus locaux : dans le cadre de la loi de décentralisation, au début de l'année, 20 milliards du Fonds d'action sociale ont en effet été transférés aux départements. Il reste que l'opposition — la première enquête sur les « nouveaux pauvres » est venue de la mairie de Paris — peut désormais exploiter un thème dangereux pour le gouvernement socialiste.

La seconde interrogation porte sur l'équilibre financier à moyen terme du système Bérégovoy. Certes, à l'automne, la situation apparaît encore plus euphorique que durant l'été : on murmure chez les experts que l'excédent de la Sécurité sociale pourrait frôler les 18 milliards à la fin de l'année au lieu des 13 milliards attendus. Mais, à l'occasion du débat budgétaire, Raymond Barre jette un pavé dans la mare : sans la contribution de 1 %, prévient l'ancien Premier ministre, et compte tenu du poids toujours croissant du chômage, la protection sociale risque d'enregistrer un déficit d'une dizaine de milliards dès 1985. Alors que la chasse aux économies commence à atteindre ses limites. Il faut accorder une rallonge de 1 % aux budgets hospitaliers pour leur permettre de couvrir les augmentations salariales de leur personnel, qui suivent celles de la fonction publique. En 1984, s'inquiète le syndicat national des cadres hospitaliers, les investissements des hôpitaux seraient de 31 % inférieurs à la moyenne des années précédentes. À son tour, le CNPF crie casse-cou : une série de décrets destinés à améliorer la trésorerie de la Sécurité sociale en raccourcissant les délais de paiement des employeurs touchent de plein fouet les entreprises. « Une avance de 8 à 10 milliards » proteste le patronat, qui sonne la mobilisation de toutes ses fédérations contre le projet gouvernemental. En partant aux Finances, Pierre Bérégovoy a laisse un « trésor » au nouveau ministre des Affaires sociales, Georgina Dufoix, mais les droits d'héritage à acquitter risquent de se révéler plus lourds que prévu.

Henri Gibier