Avec l'arrivée de Laurent Fabius à l'hôtel Matignon, on assista à un nouvel ajustement dans la politique de l'emploi. Dès le 5 septembre, le nouveau Premier ministre prenait l'engagement solennel à la télévision de faire en sorte que, d'ici à la fin de l'année 1985, tous les jeunes sortant du système scolaire soient pourvus d'une formation ou d'un emploi (ou d'une occupation). Cet engagement devait donner lieu à des premières mesures en faveur des jeunes lors du Conseil des ministres du 26 septembre après une concertation très large avec les partenaires sociaux. La décision la plus spectaculaire, la plus novatrice mais aussi la plus controversée, fut la création de travaux d'utilité collective (TUC), réservés à des jeunes volontaires de 16 à 21 ans pour une durée maximale d'un an — et moyennant une rémunération de 1 200 F par mois pour 80 heures de travail, avec un éventuel complément en espèces ou en nature de 500 F — pour répondre à des besoins sociaux pris en charge par des collectivités locales, des établissements publics ou des associations. Au milieu de toute une série de mesures d'ambition plus limitées, le ministre du Travail, Michel Delebarre, leva également les derniers obstacles à la mise en œuvre de l'accord du 26 octobre 1983 (signé par les partenaires sociaux à l'exception de la CGT) sur la formation en alternance. 300 000 jeunes, selon les chiffres avancés par le CNPF, devraient pouvoir en bénéficier, tandis que 100 000 autres jeunes devraient suivre des stages d'initiation à la vie professionnelle, d'une durée de trois mois, pouvant dans certains cas être doublée.

La remise en cause

Il apparaît ainsi clairement que le gouvernement a abandonné de fait certaines priorités mises en avant dès son arrivée au pouvoir en 1981, comme la généralisation des 35 heures d'ici à la fin de 1985. Le 20 mai, à Villeneuve-d'Ascq, Pierre Mauroy était sorti de sa réserve en invitant, au moment où les sidérurgistes allemands tentaient de l'obtenir, les syndicats à agir pour la semaine des cinq fois sept heures : « Les trente-cinq heures doivent être la revendication majeure pour permettre que la nouvelle société industrielle qui est en train de naître ne soit pas celle du chômage. » Dans les faits, pourtant, les pouvoirs publics se gardèrent bien de tout nouvel appel à la loi, comme pour les 39 heures, et restèrent dans leurs actes fidèles à la philosophie rappelée par Pierre Bérégovoy à plusieurs reprises, selon laquelle la réduction de la durée du travail doit être « adaptée aux conditions de chaque entreprise ». Laurent Fabius se montra pour sa part encore plus prudent, s'abstenant d'évoquer les 35 heures dans son discours d'investiture à l'Assemblée nationale et de mentionner la réduction de la durée du travail parmi les « cinq fronts » de lutte contre le chômage qu'il décida d'ouvrir en septembre.

En fait, et pour une large part, la politique de l'emploi a été in fine renvoyée à la responsabilité des partenaires sociaux pressés par Laurent Fabius d'aller « vite et loin » dans leur négociation, engagée le 28 mai, sur la flexibilité des conditions d'emploi. Le patronat plaide à cette occasion une thèse simple qui, estime-t-il, a déjà fait ses preuves dans plusieurs pays européens et occidentaux, selon laquelle les rigidités sociales sont contraignantes pour les entreprises et bloquent l'embauche. Yvon Gattaz, le président du CNPF, proposa même de créer 471 000 emplois nouveaux à contraintes allégées sur 18 mois, si ces emplois supplémentaires bénéficiaient de la suppression de l'autorisation administrative préalable de licenciement, d'une non-application de seuils sociaux et fiscaux liés aux effectifs, et d'une exonération de certaines taxes parafiscales. La négociation se révèle au fil des mois extrêmement difficile, la difficulté apparaissant à la mesure du défi lancé : faut-il remettre en cause certains avantages sociaux conquis pendant des périodes de croissance — ou d'état de grâce politique et social — pour pouvoir enfin créer des emplois ? En attendant le retour de Dame Croissance...

Chômage

Une marée noire

Le taux de chômage frôle la barre des 10 % en France. Il la franchira allègrement en 1985. Dès le début de l'année 1984, la tendance ne cessait de se détériorer, semblant à l'avance donner raison à ceux qui formulaient les pronostics les plus sombres. Tant André Bergeron qu'Henri Krasucki, sur ce point à l'unisson, annonçaient 3 millions de chômeurs d'ici à la fin de l'année.