1984 demeurera donc comme une année où la poursuite d'un chômage élevé a coïncidé avec une relative diminution de l'indemnisation (60 % des chômeurs étaient indemnisés en juillet 1984 contre 57 % en septembre 1983), ce qui a alimenté la controverse et la querelle de chiffres sur l'apparition de « nouveaux pauvres ». Indéniablement, il y a parmi ceux-là nombre de jeunes à la recherche d'un emploi et privés de ressources. Leur marginalisation s'accentue alors que, sur un autre plan, la précarisation de l'emploi devient plus évidente. Une telle évolution, qui bouleverse profondément le marché du travail, devrait malheureusement continuer en 1985 : l'OCDE prévoit que le taux de chômage atteindra 11 % de la population active à la fin de l'année.

Syndicats

Le désarroi des centrales

Comment se réjouir d'avoir cent ans quand on ne parle, autour de syndicats qu'on décrit comme affaiblis, que de remise en cause d'avantages sociaux acquis par des décennies de luttes revendicatives et qu'on est confronté aux restructurations industrielles, à la rigueur économique et à de nouvelles ondes de choc politiques ? Le syndicalisme a de nouveau vécu en 1984 une année difficile. La politique contractuelle a été souvent gelée. Le dialogue social ne s'est pas nourri de beaucoup de grain à moudre. Quant à la combativité, elle est restée faible. De janvier à août 1984, on a ainsi observé une moyenne mensuelle de 107 000 journées non travaillées pour fait de grève contre 110 000 en 1983, 120 000 en 1981, 264 000 en 1979, 338 000 en 1976..., avec une plus grande proportion de conflits sur les salaires. Le désenchantement monte.

Une mobilisation moins unanime

1984 a d'abord été placée sous le signe des restructurations industrielles, l'année ayant débuté, comme s'était achevée la précédente, sous le signe du contre-exemple de Talbot. Les très violents affrontements dont l'usine Talbot de Poissy fut le théâtre le 5 janvier entre grévistes et non-grévistes, entre travailleurs français et immigrés sont apparus comme une blessure profonde pour un syndicalisme qui tentait de se donner dans l'opinion une image de responsabilité, sans que pour autant les 1 905 licenciements contestés ne soient évités. Sa revanche, le syndicalisme put la prendre avec la marche unitaire des sidérurgistes, le 13 avril, à Paris, au cours de laquelle de 35 000 à 40 000 sidérurgistes purent clamer, dans l'ordre et le calme, leur refus du plan de restructuration. Mais, là encore, le succès fut obscurci à plus d'un titre : une mobilisation moins ample qu'en 1979, une tentative de récupération politique avec la présence de Georges Marchais, et, au bout du compte, une impuissance de fait à empêcher, l'application des décisions annoncées.

En mai, le bras de fer sur les restructurations se déplaçait de nouveau dans l'automobile. Pour s'opposer à une demande de 2 800 licenciements de la direction de Citroën, la CGT occupait plusieurs usines de la région parisienne, dont celle d'Aulnay-sous-Bois. L'intervention de Pierre Bérégovoy, alors ministre des Affaires sociales, le 18 mai, devait permettre la levée de ces occupations puisqu'il refusait les licenciements et engageait la direction à négocier. En juillet, mécontents de la mauvaise tournure prise par les discussions, les pouvoirs publics opposaient un nouveau refus, mais, le 23 août, Michel Delebarre, nouveau ministre du Travail, autorisait près de 2 000 licenciements, assortis, il est vrai, d'une formation préalable à la rupture du lien juridique avec l'entreprise. Heurtée de plein fouet, mais prise de court, la CGT ne put malgré la mise en place de cages grillagées pour filtrer les entrées du personnel et un incident avec son leader à Aulnay, Akka Ghazi, victime d'un coup de matraque — réussir à mobiliser le personnel autrement que pour des actions ponctuelles.

En septembre, la CGT choisissait un nouveau terrain d'action en déclenchant une grève à l'usine Renault du Mans, au moment où la Régie se trouvait elle aussi confrontée à un problème de sureffectifs qu'elle entendait négocier. Les grévistes obtenaient rapidement satisfaction, notamment sur une prime de fin d'année, mais la centrale d'Henri Krasucki tentait ensuite d'étendre le conflit aux autres usines de la régie, en particulier à celles de Sandouville, Cléon et Douai. Au lieu de se développer, cependant, la mobilisation s'effrita. La CGT obtint quelques satisfactions — sur le versement de la prime — mais, moyennant quelques apaisements, la direction réussit à l'insérer dans une négociation sur l'emploi portant à la fois sur les sureffectifs et la mobilité. Dans d'autres secteurs, la CGT s'est montrée également offensive, faisant preuve d'une réelle combativité à Creusot-Loire — où elle obtint le rejet par une consultation des salariés du protocole social signé par trois autres syndicats dont la CFDT — et menant des actions souvent minoritaires et parfois dures dans les chantiers navals. La modernisation industrielle a été engagée alors que la politique économique et sociale du gouvernement de P. Mauroy restait placée sous le signe de la rigueur. Celle-ci n'a pas été atténuée en 1984. Le Premier ministre avait annoncé clairement la couleur en recommandant au secteur public de ne pas dépasser 5 % d'augmentation en niveau des salaires.