Mais c'est surtout dans la fonction publique que l'austérité salariale a eu les répercussions sociales les plus sérieuses. Obligé d'honorer la clause de sauvegarde qu'il avait introduite pour l'année 1983 dans le relevé de conclusions du 22 novembre 1982, le gouvernement, par la voix d'Anicet Le Pors, joua habilement de l'ambiguïté de la formulation.

Le 8 mars, avec un renfort important du secteur public, la CGT, FO, la FEN, la CGC et les autonomes se lançaient dans un mouvement de grève nationale des fonctionnaires — aussitôt dénoncé par Edmond Maire — d'une ampleur moyenne. Début octobre, Jean Le Garrec, nouveau secrétaire d'État à la fonction publique, recevait les syndicats, après les avoir consultés séparément, pour leur annoncer une augmentation de 2 % au 1er novembre pour solde de tout compte. Comme en 1977, la fonction publique s'est donc trouvée en 1984 sans accord salarial. De nouveau, la CGT, la FEN, FO, la CGC, la CFTC et les autonomes — la CFDT ne lançant pas de mot d'ordre national mais participant à des manifestations et à des mouvements sectoriels — déterrèrent la hache de guerre pour une grève de 24 h le 25 octobre qui, affaiblie par la moindre participation du secteur public, n'apparut pas comme une riposte à la hauteur du mécontentement existant.

La fracture est réelle entre le gouvernement socialiste et une catégorie sociale qui lui fournit une bonne part de ses bataillons électoraux.

La rigueur de la politique gouvernementale n'a pas vraiment été compensée par des mesures plus qualitatives.

Centrales : le chaud et le froid

Laurent Fabius avait fort à faire pour renouer avec des syndicats qui avaient vécu les derniers mois du maire de Lille à Matignon dans un réel état de défiance tant la concertation s'était rapetissée telle une peau de chagrin.

À sa manière, la CGT avait bien préparé le départ des ministres communistes — pour lequel ses dirigeants plaidèrent au sein du PC. Lors de l'événement, elle se contenta d'exprimer ses « préoccupations » et se garda bien de s'en prendre au PS. Reçu par L. Fabius, H. Krasucki s'exprima même sur un ton au-dessous de celui qu'il avait employé vis-à-vis de P. Mauroy, pour démontrer que la non-participation communiste n'avait pas d'incidences sur sa stratégie... Mais, dès la rentrée de l'automne, la CGT se montrait plus offensive en expliquant que la politique économique qu'elle avait dénoncée avant juillet était en train de s'aggraver. Le 16 septembre, plus dur que jamais, Henri Krasucki appelait ainsi les salariés à « mettre le paquet ». Les mobilisations chez Renault et dans la fonction publique devaient cependant montrer qu'il n'avait été que très partiellement entendu.

Pour sa part, la CFDT souffla le chaud et le froid pour se défaire de son image pro-gouvernementale qui lui avait occasionné tant de déboires électoraux, sans pour autant rompre avec le pouvoir.

Au moment de l'arrivée de L. Fabius, la centrale exprimait quelques craintes quant à une évolution « dans le sens du libéralisme, fût-il avancé ».

Dans le même temps, pourtant, la CFDT accentuait son recentrage lors d'un conseil national, en avril, où elle s'efforça de toiletter, d'actualiser les « trois piliers » de sa doctrine. La nomination de son secrétaire général adjoint, Jacques Chérèque, comme préfet délégué en Lorraine, devait cependant provoquer de nouvelles tensions au sein de la centrale. Refusant une mobilisation tous azimuts tant contre le gouvernement que contre le patronat, la CFDT a joué la carte du compromis dans les négociations sur la flexibilité de l'emploi en faisant des ouvertures au CNPF.

Tout au long de l'année et jusqu'à son congrès confédéral qui, à la fin novembre, a reconduit comme on s'y attendait André Bergeron comme secrétaire général, FO a conservé un ton très critique et parfois très dur vis-à-vis de la politique gouvernementale, dénonçant le « rigorisme absolu » de P. Mauroy et la paralysie de la politique contractuelle et même du dialogue social (alors même qu'un accord était conclu en début d'année sur une nouvelle réforme de l'assurance chômage).