Les taux directeurs, qui déterminent chaque année l'enveloppe allouée aux gestionnaires hospitaliers, sont ramenés à 6,6 % pour 1984, contre plus de 12 % au début du septennat. « Il n'est pas question de réduire les moyens, seulement d'apprendre à les optimiser » explique-t-on dans l'administration. À cette fin, 1984 marque l'entrée en application du budget global, auquel sont soumis tous les CHR à partir du 1er janvier. Le système consiste à substituer au remboursement des hôpitaux en fonction des prix de journée facturés, une dotation annuelle versée aux établissements par douzièmes. Ce mécanisme, qui supprime les incitations à « faire du chiffre » sur le dos de la Sécurité sociale, sera étendu aux 1 500 hôpitaux français dès le 1er janvier 1985. Deuxième verrou : un contrôle systématique de tous les investissements. Le troisième porte sur les créations de postes nouveaux, qui plafonnent à 1 500 contre 4 500 en 1983. Enfin, la modernisation des plateaux techniques est accélérée dans le but d'obtenir rapidement des gains de productivité. Pour la seule année 1984 devaient être autorisés les achats de 40 scanners à 10 millions pièce et de 5 appareils de recherche magnétique nucléaire à 20 millions l'unité.

La forme et le fond

Dans ce dispositif, la forme compte autant que le fond. Tout au long de l'année, P. Bérégovoy sculpte son personnage de ministre qui compte. Plus de trente circulaires rédigées avenue de Ségur viennent bouleverser les thermomètres financiers des gestionnaires hospitaliers. Super-intendant en révolte contre son ministre, le directeur des imposants Hospices Civils de Lyon subit une mutation-sanction qui fait frémir tous ses confrères. Ses sympathies affichées pour FO, qui contrôle au travers de Maurice Derlin, président de la CNAM, la gestion de la santé française, ne l'ont pas protégé, au contraire. Peu de temps après s'ouvre un nouveau front, cette fois avec les médecins de ville. Contrairement aux dépenses hospitalières, les honoraires privés ont tendance à s'emballer : début 1984, ils sont déjà sur une lancée de 18 %, soit une progression voisine de 9 % en volume. À la même époque, la Caisse d'assurance maladie, en pleine renégociation tarifaire avec les syndicats médicaux, semble disposée à accepter un relèvement des honoraires supérieur à 5 %. Mais le cabinet de P. Bérégovoy n'hésitera pas à intervenir autoritairement pour revenir à line moyenne plus proche de 4 %. Du coup, le principal syndicat de médecins, la CSMF, refuse de signer la convention, ratifiée néanmoins par la FMF, organisation minoritaire. Bataille des tarifs qui rebondit en octobre, lorsque Georgina Dufoix, reprenant l'héritage de son prédécesseur, modifie par un décret la cotation de certains actes médicaux rassemblés sous la lettre K. En d'autres termes, il s'agit d'abaisser le prix de certains actes chirurgicaux simples, comme l'électrocardiogramme, l'échographie ou l'angiographie numérisée (examen des vaisseaux), dont le rythme d'augmentation frôle les 25 %. La mouture initiale envisagée par P. Bérégovoy devait se traduire par une économie d'environ 700 millions pour la Sécurité sociale et un manque à gagner d'autant pour les spécialistes. Afin de démontrer sa bonne volonté, G. Dufoix ramène la facture à 420 millions. C'est encore trop pour les cardiologues, qui estiment à 27 % la baisse de revenus provoquée par le changement de cotation de l'électrocardiogramme. Les premières grèves éclatent dans l'Ouest. Les cardiologues parisiens enchaînent en appelant à une grève générale les 15, 16 et 17 octobre.

En fait, le point culminant de ce geste symbolique du ministre gestionnaire se situe aux beaux jours de juillet. Le premier acte se passe au Conseil des ministres du 12 juillet, qui adopte un programme de 40 mesures visant à simplifier et à améliorer les relations entre les caisses de Sécurité sociale et les usagers. Déclaration de guerre à la bureaucratie bien reçue par l'opinion. Second acte : réunie le 19 juillet, la Commission des comptes de la Sécurité sociale rend publiques ses prévisions. Au lieu des 4 milliards d'excédent qu'elle avait annoncés en novembre 1983, la Commission prévoit un solde positif de 13 milliards pour la fin décembre 1984. Grâce à une gestion rigoureuse de la trésorerie, les encours détenus par la Sécurité sociale dépassent certains mois les 20 milliards. Cette opulence soudaine d'une institution qui semblait vouée au déficit vient fort opportunément renforcer le crédit de P. Bérégovoy. Qui en profite pour s'assurer la vedette du troisième acte en offrant aux Français la suppression de la contribution de 1 % sur les revenus. Dix jours plus tard, auréolé du titre de l'homme qui a rendu riche la Sécurité sociale, Pierre Bérégovoy figure au poste de ministre de l'Économie et des Finances du premier gouvernement Fabius.

Des questions permanentes

Heureux dénouement qui, pour la beauté de la pièce, a été précipité dès le milieu de 1984. Eût-il été aussi triomphant si l'ancien ministre des Affaires sociales avait dû attendre la fin de l'année pour établir son bilan ? Deux événements survenus après l'été laissent planer quelques doutes sur la bonne santé retrouvée de la protection sociale.