Par ses multiples réseaux d'influence au sein du Parti national (au pouvoir depuis 1948), l'armée a réussi, en 1978, à imposer à la tête de l'État, le plus légalement du monde, un homme qui reste très largement sa créature : Pieter Botha, un apparatchik qui fut, pendant dix ans, un ministre de la Défense complètement identifié aux intérêts du corps militaire. Toute sa politique ainsi que son fameux leitmotiv adressé aux Blancs d'Afrique du Sud, « s'adapter ou mourir », sont directement inspirés des théories géopolitiques enseignées depuis le milieu des années 70 par les professeurs de l'académie militaire de Stellenbosch.

Le postulat est simple : face à l'« assaut total » (total onslaught) et multiforme mené contre la tribu blanche, il faut une réponse à la fois globale et nuancée. Il est urgent, notamment, de rompre avec l'immobilisme intérieur. Depuis longtemps fonctionne au sein de l'armée sud-africaine un système d'intégration raciale par quotas, qui permet de faciliter le recrutement : les Indiens dans la marine, les métis dans l'aviation, les Noirs dans l'armée de terre. C'est ce modèle, estiment les militaires, qu'il faut appliquer à la société civile.

Mais les conséquences de ces réformes « éclairées », et pourtant cosmétiques (légalisation de certains syndicats noirs, introduction d'un système législatif tricaméral accordant aux communautés métisse et indienne des droits limités d'autogestion du type indirect rule britannique), effrayent profondément la minorité ultra-conservatrice et crispée du Parti national.

Les limites du réformisme

Persuadée que le système politique sud-africain n'est pas adapté à la situation d'« assaut total », l'armée milite depuis toujours pour l'établissement d'un régime présidentiel fort et centralisé. La minorité des libéraux blancs anglophones, qui redoute une évolution dictatoriale du régime, proteste contre cette réforme constitutionnelle. En vain. De plus en plus, P. Botha, devenu président de la République, gouvernera seul en privilégiant les conseils du State Security Council (qui regroupe les principaux chefs militaires dont le chef d'état-major général, Magnus Malan) par rapport aux avis de son propre gouvernement.

Glacis austral et ANC

On a d'abord consciencieusement déstabilisé les jeunes indépendances voisines, surtout à partir de 1980, quand Robert Mugabe remplaça Ian Smith au Zimbabwe. Il s'agissait beaucoup moins de prévenir une quelconque agression (cette hypothèse n'a jamais été sérieusement prise en compte à Pretoria) que d'empêcher tout effet de contagion chez les 23 millions de Noirs sud-africains. Méthode efficace puisqu'elle aboutit aux pactes de non-agression de la première moitié de 1984 entre des pays militants de la Ligne de front, exsangues, et une Afrique du Sud triomphante. En termes géostratégiques, on est ainsi passé de la théorie du laager (ce cercle de chariots que formaient les premiers colons afrikaners pour se défendre), chère à Vorster, à celle du glacis austral, qui aboutit à la « finlandisation » de la Ligne de front.

Cette vision globale des stratèges sud-africains a pourtant des failles. Tout d'abord, elle est en passe de déboucher sur un véritable éclatement de la famille afrikaner, ceux qui refusent obstinément toute évolution et ceux, majoritaires, qui suivent Pieter Botha et ses amis militaires.

Plus grave : après avoir coupé les nationalistes de l'ANC (African National Congress) de leurs bases arrière du Swaziland et du Mozambique, le pouvoir blanc a cru que la population noire allait se montrer sensible aux sirènes de l'enrichissement limité (création d'une bourgeoisie indigène) et du partage très relatif du pouvoir, au niveau des municipalités de townships (banlieues-dortoirs des grandes cités). Il n'en a rien été.

Avec une rapidité qui a surpris, le vieil ANC s'est reconverti dans la lutte interne, capitalisant à son profit une immense charge de désespoir et de haine. Les émeutes qui ensanglantent, début septembre, le triangle du Vaal et qui prennent pour cibles prioritaires les collabos noirs du pouvoir blanc en disent long sur le fossé qui subsiste.

L'avenir de la Namibie

L'un des aspects progressistes du nouveau pouvoir militaro-industriel a été d'admettre que la Namibie, occupée par l'Afrique du Sud, devait rapidement accéder à l'indépendance. Le maintien d'une armée de 30 000 hommes sur la frontière nord de l'ancien Sud-Ouest africain et les aides budgétaires multiples accordées par le Trésor sud-africain aux finances namibiennes coûtent cher (600 millions de dollars par an, environ) en ces temps d'austérité. Pieter Botha ne cesse de le répéter.