Mieux vaut, s'il fallait ne retenir qu'un titre, se souvenir, décidément, de cette Mortelle randonnée frôlant le fantastique, où, face à une remarquable Isabelle Adjani, Michel Serrault, lui, campait un fascinant privé un peu fou...

La baisse de tonus du policier, cette année, s'est curieusement conjuguée avec une certaine perte de vitesse du bon gros rire à la française. Bien sûr, Claude Zidi, avec Banzai, où Coluche incarne l'employé d'une firme d'assurances couvrant les risques des touristes à l'étranger, figure en bonne place au palmarès des entrées. Mais il faut bien chercher les autres titres de la catégorie, Zig-Zag Story, de Patrick Schulmann, Circulez y a rien à voir, de Patrice Leconte, avec, aux côtés de Jane Birkin, l'insolite et sympathique tandem que composent Michel Blanc et Jacques Villeret. En fait, il semble que l'on assiste, aujourd'hui, a une sorte de glissement du rire, qui devient plus sophistiqué, plus insolent, moins au premier degré.

Succès

Quels sont, finalement, les films qui ont dominé l'année ? Outre L'été meurtrier, succès commercial de bonne facture, et Mortelle randonnée, moins prisée par le public parce que sans doute inclassable, ce sont surtout des œuvres qui, sortant des sentiers battus, ont alimenté les controverses mais qui donnent à cette année une coloration particulièrement originale, même s'il s'agit de demi-échecs. D'abord, L'argent, de Robert Bresson, film austère, exigeant des spectateurs une grande attention, avec ses cadrages particuliers — souvent autour d'un bouton de porte —, ses dialogues rares et comme désincarnés, son absence de comédiens professionnels et connus. Ou on le rejette ou l'on fait l'effort d'y entrer ; et, là, on est finalement ligoté par sa force : on a rarement aussi bien parlé de la dérive d'un jeune homme aux prises avec une société dominée par l'argent et que la justice enfonce plus qu'elle ne l'aide...

Ensuite, cette irritante et baroque Lune dans le caniveau, avec laquelle Jean-Jacques Beineix a tant déçu les amoureux de Diva. Cinéma de carton-pâte, emphase de poncifs mal renouvelés par un décor kitsch, sans doute. Mais peut-être y a-t-il là une recherche qui peut déboucher sur un nouveau cinéma ? Les Américains le pensent, qui ont invité le réalisateur à venir travailler chez eux. On retrouve finalement la sélection de Cannes, qui a voulu également faire une place à l'homme de théâtre qu'est Patrice Chéreau et à son douloureux, presque choquant, mais surtout très... théâtral Homme blessé, tragique histoire d'amours homosexuelles qui a fait peur au grand public. Les fidèles d'Éric Rohmer mentionneront ici aussi son dernier film, Pauline à la plage, dont on peut tout de même penser qu'il tourne, à force de maniérisme voulu, à l'exercice de style insupportable.

Enfin et surtout, tous, même ceux que Loulou, naguère, avait laissés partagés, se souviendront du formidable portrait d'adolescente d'aujourd'hui brossé par Maurice Pialat dans À nos amours. Une débutante inconnue, Sandrine Bonnaire, y crève l'écran de naturel face à... son metteur en scène qui incarne son père.

Restent aussi les nombreuses coproductions, qui nous permettent d'accueillir les grands noms du cinéma mondial. Cette formule n'a pas réussi au Turc Yilmaz Guney, dont Le mur, huis clos carcéral insoutenable, ne s'élève pas au-dessus du documentaire, ni à Carlos Saura l'Espagnol, qui, partant tourner Antonieta au Mexique (avec, encore, Isabelle Adjani) n'a pas su, cette fois, jouer des rapprochements présent-passé. Notre compatriote Costa-Gavras, tentant de raconter, lui, les contradictions d'Israël à travers le destin personnel, et sentimental, d'une femme (interprétée par l'Américaine Jill Clayburg), a déconcerté ses fidèles avec Hanna K. Le Polonais Andrjej Wajda, lui, a magistralement utilisé cette possibilité de marier des sensibilités différentes. Dans Un amour en Allemagne, d'abord, où Marie-Christine Barrault et Hanna Shygulla jouent une sorte d'Hiroshima mon amour dans l'Allemagne nazie, et, surtout dans l'admirable Danton, qui, bien que controversé par les historiens, souligne toute l'ambiguïté, d'ailleurs complémentaire, de l'Ami du peuple et de Robespierre. Et où, de plus, Gérard Depardieu, bizarrement peu crédible dans l'ampoulée Lune dans le caniveau, trouve l'un de ses plus grands rôles.

Ton nouveau

Enfin, et c'est peut-être là que l'année est la plus riche, on compte en 1983 un nombre inhabituel de premiers ou de seconds films, qui, avec les maladresses inhérentes aux œuvres de débutants, tranchent par leur originalité, leur sincérité. Finies, semble-t-il, les recherches d'avant-garde un peu gratuites — et irrémédiablement coupées du public.