Remis en liberté provisoire par le commandant Ouedraogo, un mois après que le chef de l'État l'eut fait arrêter, le capitaine Sankara est de nouveau appréhendé quelques jours plus tard, au début de juin. C'est alors qu'a lieu une mutinerie au sein de la garnison de Pô, située à proximité de la frontière du Ghana. Prétendant obtenir la remise en liberté de T. Sankara, les para-commandos de Pô, conduits par le capitaine Blaise Campaore, engagent des négociations avec le gouvernement. Celles-ci échouent, mais, le 4 août, l'ancien Premier ministre, démis en mai, s'empare du pouvoir à l'issue d'un putsch qui fait une quinzaine de morts et une quinzaine de blessés. C'est le troisième coup d'État militaire en trois ans.

Les précédents libérien et ghanéen

Avec le capitaine Sankara, c'est une nouvelle génération de cadres militaires qui accède à la magistrature suprême de la Haute-Volta, comme ce fut précédemment le cas au Ghana ou au Liberia par exemple. C'est aussi, semble-t-il, la confirmation de l'emprise de l'armée sur la vie publique, dans la mesure où le commandant Jean-Baptiste Ouedraogo s'était, pour sa part, engagé à remettre le pouvoir aux civils avant la fin de l'année 1983 et à contraindre les militaires à regagner leurs casernes. Il est moins évident en revanche que la présence du capitaine Sankara à la tête de l'État implique une réelle implantation libyenne dans son pays, distant de plusieurs milliers de kilomètres de Tripoli.

L'annonce simultanée, par le nouveau chef de l'État, le 10 août, d'une tentative de contrecoup d'État et d'une profonde réorganisation de l'armée prouve que la Haute-Volta n'a pas encore retrouvé la stabilité politique. Bien qu'ayant formé, le 24 août, un gouvernement comprenant une majorité de civils, le capitaine Sankara conserve personnellement le portefeuille de l'Intérieur et de la Sécurité.

Le tempérament personnel de T. Sankara, son charisme auprès des foules, ses idées et convictions politiques le font souvent comparer, non sans raison, à son homologue ghanéen, le capitaine d'aviation Jerry Rawlings. Le parallèle ne s'arrête pas là et, dans les chancelleries occidentales, on continue à considérer que T. Sankara a partie liée avec la Libye. L'attitude, à la fois agressive et provocatrice, adoptée par T. Sankara lors de la conférence franco-africaine de Vittel en octobre semble justifier une certaine réserve de la diplomatie française. Assistant aux séances de la conférence sans se séparer de son arme individuelle, ayant refusé de participer à un dîner officiel parce qu'il devait y être voisin de table du président tchadien Hissène Habré, le capitaine Sankara dispute à ce dernier la une des journaux, mais inquiète surtout la majorité de ses pairs.

Philippe Decraene

Nigeria

Le handicap de l'économie

Volonté de rétablissement d'une certaine forme de démocratie et lutte contre les difficultés suscitées par la mauvaise tenue du marché pétrolier : telles sont les préoccupations essentielles des dirigeants nigérians au cours de l'année 1983.

Soucieux de préserver l'image de marque de la démocratie nigériane, le président Shagari ne néglige rien de ce qui peut contribuer à l'améliorer. C'est ainsi qu'en septembre le général Ojukwu, ancien chef de la rébellion séparatiste du Biafra, devient officiellement sénateur de la circonscription d'Onitsha sous l'étiquette du parti national du Nigeria (NPN). Ojukwu avait fait un recours en annulation de l'élection du 20 août, estimant qu'il avait été victime de manœuvres frauduleuses. Le retour dans l'arène politique d'un homme qui vient de vivre treize années en exil, en Côte-d'Ivoire, est accueilli avec faveur par tous ceux qui prêchent l'unité nationale.

C'est le 6 août que, pour la deuxième fois après treize ans de régime militaire, les Nigérians sont invités à participer à des élections générales : 63 millions de personnes (chiffre très contesté) composent le corps électoral convié à élire le président de la Fédération et, dans les semaines qui suivent, des sénateurs, des gouverneurs et divers représentants locaux.