S. Shagari, président sortant, l'emporte largement devant ses quatre concurrents, dont le vieil Obafemi Awolowo, vétéran de la vie politique nationale depuis l'époque coloniale britannique. Contestations, affrontements, qui font plusieurs dizaines de morts surtout dans l'ouest du pays, marquent les divers scrutins. Mais l'expérience nigériane montre, en dépit de ses limites, que la dictature n'est pas la seule issue politique possible pour les États d'Afrique noire.

Expulsions en masse

Très largement tributaire de ses exportations de pétrole, le Nigeria souffre des tensions qui se manifestent sur le marché du brut. En janvier, la Fédération n'a journellement extrait que 800 000 barils à 35,5 dollars chacun, contre 2 millions de b/j à 40 dollars trois années plus tôt. D'autre part, le pétrole nigérian est très sévèrement concurrencé par le pétrole britannique de la mer du Nord, qui, non soumis aux règlements de l'OPEP, est vendu à 30 dollars le baril.

C'est donc pour tenter de désamorcer une crise socio-économique sans précédent que les autorités décident l'expulsion, en janvier, de tous les étrangers installés « irrégulièrement » dans le pays. Rendue publique par Alhaji Ali Baba, ministre de l'Intérieur, cette mesure jette pendant plusieurs mois de deux à trois millions d'infortunés sur les routes de l'exode. Si, en chassant les immigrés clandestins, les Nigérians réduisent momentanément leurs problèmes économiques, ils aggravent brutalement ceux du Ghana, du Togo, du Bénin et de bien d'autres États d'Afrique noire, dont sont originaires les expulsés.

On admet certes, ici et là, que l'échec de la révolution verte et le déclin spectaculaire de la production agricole, l'accroissement du chômage, la montée de l'inflation, le ralentissement des ventes de pétrole à l'étranger constituent des soucis permanents pour les dirigeants de Lagos. Mais on ironise également volontiers sur la contradiction éclatante entre la procédure brutale pour laquelle ont opté les Nigérians — qui laissent à cette occasion éclater leur xénophobie — et l'ambition du Nigeria d'assumer le leadership moral et politique du continent. Entre l'égoïsme national nigérian, qui dégénère dans ces circonstances en véritable chasse à l'homme, et les professions de foi panafricaines, c'est un abîme qui se dessine. Le pitoyable déferlement des réfugiés est durement ressenti par les pays africains, qui, après une phase du mustisme, ne ménagent pas leurs critiques.

La persistance des difficultés économiques incite le Nigeria à solliciter, en mai, le concours de FMI. Il obtient, le même mois, à la suite de discussions menées à New York, un rééchelonnement d'une partie de sa dette extérieure. En juin, la Banque mondiale consent, de son coté, un prêt de 120 millions de dollars pour financer la diversification industrielle du Nigeria.

Relations avec la France

Dans le domaine des rapports avec Paris, il faut noter que, si les dirigeants de Lagos restent partie prenante dans la crise tchadienne et entendent se démarquer de la Libye, ils tiennent néanmoins à marquer leurs distances avec la France. Bien qu'ayant reçu Jean-Christophe Mitterrand, fils du président, adjoint de Guy Penne, conseiller de l'Élysée pour les affaires africaines et malgaches, les Nigérians ont décliné l'offre qui leur était faite de participer à la conférence franco-africaine de Vittel, en octobre. Au demeurant, les relations commerciales restent bonnes et, en février, Lagos passe commande de 18 avions de combat franco-britanniques Jaguar, puis, en août, de 12 avions d'appui tactique Alpha-Jet. Cependant l'usine de montage installée à Kaduna par Peugeot a fermé ses portes en mars et licencié ses 5 000 ouvriers, par suite des limitations imposées par le Nigeria aux importations de matières premières. Mais, en juillet, des entreprises françaises ont enlevé un contrat de 7 milliards pour la construction du métro de Lagos.

En dépit de plusieurs incidents meurtriers qui opposent en avril troupes tchadiennes et nigérianes, Lagos continue à jouer un rôle discret dans le règlement de la crise tchadienne. Moins important qu'au cours des années précédentes, ce rôle est maintenu, autant par souci de voir la paix rétablie aux frontières que par crainte d'un déséquilibre politique favorable au colonel Kadhafi, reçu en visite officielle à Lagos en avril. Mais, sans doute à cause du traumatisme provoqué par les expulsions de janvier, les Nigérians mettent momentanément une sourdine à leurs activités diplomatiques africaines, encore intenses en 1982.