Reste que, si les dirigeants de Pretoria semblent prêts à modifier l'ensemble du système d'apartheid, l'essentiel — à savoir la domination politique blanche — est pour eux inamovible. Chassée par les persécutions religieuses, ayant depuis trois siècles perdu ses liens organiques avec l'Europe, développé sa propre langue et combattu lors de sa propre guerre d'indépendance (la guerre des Boers), la tribu blanche d'Afrique du Sud estime que son existence procède d'une volonté divine. Le parallèle avec Israël est ici évident. Les raids de commando et les ingérences constantes de Pretoria en Afrique australe sont la face externe de la volonté de survie d'un peuple crispé sur une certitude essentielle : partager le pouvoir signifierait, pour lui, disparaître en tant que nation.

Déséquilibre militaire

Face à cette attitude, les États d'Afrique australe n'ont d'autre choix, pour l'instant, que de composer et de discuter, imitant en cela le président zambien Kenneth Kaunda, qu'ils condamnaient hier avec virulence. Les forces additionnées de ces sept pays (Angola, Mozambique, Zimbabwe, Zambie, Botswana, Lesotho, Swaziland) surclassent pourtant celles de Pretoria : 120 000 soldats réguliers, 150 avions de combat et 600 chars pour les États noirs militants de la Front Line ; 80000 réguliers, 120 chasseurs et 320 blindés lourds côté Afrique du Sud. Mais, pour les premiers, leur armement, essentiellement soviétique, est largement périmé, leurs troupes peu entraînées et, surtout, Pretoria dispose presque à coup sûr d'armes nucléaires tactiques qui sanctuarisent le pays de l'apartheid contre toute attaque venant de l'un de ses voisins.

Ce déséquilibre explique d'une part l'extraordinaire immobilisme dont Pretoria fait preuve à propos du dossier de l'indépendance namibienne, accroché à sa théorie (qui est aussi celle de Washington) du linkage : pas de retrait des troupes sud-africaines de Namibie sans un retrait préalable des Cubains d'Angola. Il explique aussi l'impunité avec laquelle le pouvoir pâle peut continuer à fonctionner, en dépit des condamnations internationales, mais inopérantes. À l'aube du jeudi 9 juin 1983, Simon Mogoerane, 23 ans, Jerry Mosololi, 25 ans, et Marcus Motaung, 28 ans, tous trois militants de l'ANC, étaient pendus dans l'enceinte de la prison centrale de Pretoria. Leurs corps, comme ceux de tous les autres pendus « politiques » en Afrique du Sud, n'ont pas été rendus à leur famille...

François Soudan

Cameroun

Le président Biya impose son autorité

Après un début de scénario qui rappelait très exactement celui suivi, deux années plus tôt, au Sénégal par le président Senghor, pour remettre constitutionnellement le pouvoir aux mains de son Premier ministre Abdou Diouf, la transition, heureusement amorcée au Cameroun, le 4 novembre 1982, avec le départ volontaire du président Ahmadou Ahidjo, s'est heurtée à de sérieux obstacles. Premier ministre depuis 1975, Paul Biya, aussi surpris, semble-t-il, que la majorité de ses compatriotes, avait recueilli, sans heurts, une succession que nul n'attendait pour cette date, ayant bénéficié lui-même du concours actif d'Ahmadou Ahidjo.

Guerre de succession

Contrairement à ce que laissaient supposer certaines analyses pessimistes, l'ancien président joua, dans un premier temps, la carte de la coopération étroite avec son dauphin, au demeurant résolu à poursuivre une politique d'unité nationale qui, depuis un quart de siècle, avait fait ses preuves. Ahmadou Ahidjo parcourut le Cameroun pour appeler ses habitants à apporter, sans réserve, leur concours à Paul Biya.

Mais, petit à petit, les rapports entre l'ancien et le nouveau président se détériorent et prennent, en août, l'allure d'une véritable guerre de succession. Apparemment mécontent du manque de docilité de son ancien Premier ministre, sur lequel il prétendait continuer d'exercer une influence politique, encouragé par quelques anciens collaborateurs, Ahmadou Ahidjo cherche, sans succès, à imposer son point de vue à Paul Biya, en mai et juin. Une dangereuse escalade verbale s'engage en août, lorsque, le 22, Paul Biya, annonce, dans un message à la nation, un complot ourdi contre sa personne.