R. Reagan est entendu de ses compatriotes lorsqu'il souligne l'importance de cette région, « notre arrière-cour ». C'est le lieu de passage de la moitié du commerce extérieur des États-Unis, des deux tiers de leurs importations pétrolières et, en temps de guerre, une voie maritime capitale. Peut-on y tolérer de nouveaux Cuba ? D'autant que toute instabilité politique en Amérique centrale provoque immédiatement un afflux de réfugiés aux États-Unis...

Cela explique en partie l'approbation assez large que suscite l'intervention américaine à la Grenade, fin octobre, malgré la crainte que provoque aux États-Unis tout ce qui ressemble, même de loin, à un nouveau Viêt-nam. Il est vrai que le débarquement des marines dans cette île des Caraïbes, considérée à Washington comme une dangereuse base communiste, survient au lendemain d'un attentat très meurtrier contre les forces américaines à Beyrouth. La Grenade marque un tournant, peut-être essentiel, dans la lutte menée par R. Reagan contre le « communisme sans frontières ». Tout est vu à Washington dans une optique Est-Ouest, alors que les dirigeants des démocraties latino-américaines sont plus sensibles aux causes économiques et sociales de cette violence politique. D'un côté, on croit encore, sans le dire, à une solution militaire. De l'autre, on plaide, sans trop y croire, pour une solution négociée.

1984 est l'année de l'élection présidentielle aux États-Unis. La moindre décision prise à Washington, la moindre réaction de l'opposition démocrate devront tenir compte de cet événement, et les autres pays américains devront en prendre leur parti. Cela ne pourra qu'embrouiller un peu plus un écheveau complexe dans lequel économie et politique, protecteurs et protégés, créanciers et débiteurs sont plus liés que jamais.

Robert Solé

Canada

L'opposition change de visage

L'échiquier politique est ponctué en 1983, tant sur la scène fédérale qu'au Québec, par une réorganisation importante des forces de l'opposition qui placent leur sort entre les mains de deux nouveaux leaders : l'homme d'affaires Brian Mulroney pour les conservateurs d'Ottawa, l'ancien Premier ministre Robert Bourassa, pour les libéraux du Québec.

Dans l'arène fédérale, ne bénéficiant d'aucune expérience parlementaire, B. Mulroney détrône Joe Clark, pourtant aguerri par sept années de leadership, mais désormais perçu comme peu apte à diriger le vaste ensemble canadien. « ABC : Anybody but Clark » (n'importe qui mais pas Clark), scandent les opposants de celui qui fut le seul à interrompre pendant neuf mois (juin 1979 à mars 1980) un règne de 15 ans du Premier ministre Pierre Elliott Trudeau.

Lors d'un vote de confiance au début de l'année, Joe Clark réclame de son parti un mandat clair et déclenche une course au leadership. Ce pari lui sera funeste. Au terme d'une campagne féroce, Brian Mulroney ravit au quatrième tour de scrutin le titre à Joe Clark (le 11 juin), grâce à l'appui d'une coalition de plusieurs autres candidats de droite, attirés par ses positions en faveur du rétablissement de la peine de mort et d'un encouragement des investissements étrangers.

Âgé de 44 ans, B. Mulroney, avocat de formation, fait figure de jeune premier dans la jungle politique. Il n'attendra cependant que quelques semaines, lors d'une élection complémentaire dans la circonscription de Central Nova en Nouvelle-Écosse (le 29 août), pour se faire élire, effectuer sa rentrée à Ottawa et repenser la décoration de Stornoway, résidence officielle du chef de l'opposition dans la capitale nationale.

La métamorphose de Pierre Trudeau

Le Premier ministre canadien débute le nouvel an sur un air de voyage. Le 3 janvier, il atterrit à Hongkong, première étape d'un périple de seize jours en Asie. Quelques accords financiers bilatéraux sont conclus, notamment en Thaïlande, à Singapour et en Indonésie, mais les Canadiens, plongés dans un contexte économique difficile, retiennent surtout que leur chef d'État est à l'étranger au moment où l'urgence d'un coup de barre au gouvernail économique se fait sentir. P. E. Trudeau répliquera, le 12 janvier, à la presse qu'il a droit, lui aussi, à des vacances pour le Noël. Il ne fera que jeter de l'huile sur le feu nourri par ses critiques. Le mois suivant, il récidive et se rend aux Caraïbes dans le cadre d'un voyage éclair, lui aussi commenté avec aigreur par l'opposition. La tempête gronde au pays. Le capitaine brille par son absence et P. E. Trudeau est devenu pour plusieurs le personnage central d'un remake du roman de Robert Stevenson qui pourrait s'intituler : Le Dr Trudeau et Mr. Hyde.