L'étude épidémiologique, menée principalement aux États-Unis mais aussi en France, s'oriente vers l'identification d'un virus s'attaquant à des patients qui ont perdu leur capacité de résistance à l'infection. Les habitudes sexuelles ne sont pas nécessairement en cause, mais plutôt le mode de vie en général et même, dans certains cas, le traitement par des médicaments immunodépresseurs. Par ailleurs, des foyers endémiques sont localisés à Haïti et en Afrique centrale. La maladie, maintenant appelée SIDA (Syndrome d'Immuno-Dépression Acquise), appelle avant tout des mesures préventives dans les groupes à risques, donc une bonne connaissance des modes de contamination.

Bilan

À la fin du premier semestre 1983, on recensait dans le monde 1 400 cas de SIDA, dont 450 déjà mortels. Rien que pour les États-Unis, on estimait que le bilan devait atteindre 2 000 cas vers la fin de l'année. Ces chiffres sont certainement au-dessous de la réalité, car beaucoup de pays ne pratiquent pas de diagnostic ni de recensement systématiques. La période de latence va de quelques mois à deux ans. Après des symptômes peu caractéristiques (fièvre, amaigrissement, fatigue), la maladie se manifeste par une série d'infections dues à des germes quelconques, auxquels l'organisme est devenu incapable de résister. La complication la plus grave est le sarcome de Kaposi, un cancer du tissu conjonctif très rare, dont la subite fréquence en 1981 chez les jeunes d'Atlanta avait marqué la première apparition de la maladie.

Aux États-Unis, l'analyse épidémiologique a montré que le mal frappe, outre des homosexuels masculins, des toxicomanes utilisant les injections intraveineuses, des hémophiles suivant un traitement permanent avec injections, des originaires d'Haïti, des femmes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes contaminés. En France, un réseau de surveillance mis en place par quelques praticiens parisiens avec l'appui du ministère de la Santé a recensé une quarantaine de cas, dont 50 % d'homosexuels (contre 75 % aux États-Unis) et aucun toxicomane (contre 45 % aux États-Unis). Aucun malade hémophile n'a été trouvé atteint du SIDA.

Sang

Cependant, aux observations américaines sur des hémophiles s'ajoutent les cas de deux enfants espagnols atteints d'hémophilie et qui ont succombé au SIDA l'un en janvier, l'autre en avril. Il ne peut y avoir de lien direct entre les deux affections ; l'hémophilie est d'origine génétique et non infectieuse. Mais certains hémophiles sont traités par des transfusions d'une fraction du sang enrichie d'un facteur coagulant contenu dans le sérum, le facteur VIII. Chez ces malades comme chez les héroïnomanes qui « se piquent », le SIDA semble s'être développé après des manipulations du sang. Or, aux États-Unis, le sang humain est acheté à des donneurs souvent recrutés parmi des homosexuels ou dans les éléments les plus pauvres de la population, en mauvaise condition sanitaire et physiologique. Dès le début de l'année, les hémophiles américains ont reçu le conseil de limiter le plus possible l'utilisation de certains produits sanguins, qui proviennent parfois d'un pool mélangeant les plasmas de 150 donneurs différents. En juin, la France a décidé de limiter les achats de facteur VIII en provenance des États-Unis, en attendant de pouvoir supprimer complètement les importations. À cette affaire s'en est mêlée une autre qui suscite une vive controverse : l'emploi par l'Institut Pasteur Production, pour la fabrication de son vaccin contre l'hépatite B, de plasma sanguin acheté aux États-Unis.

La sélection des donneurs de sang

Aux États-Unis, des organismes commerciaux collectent chez des donneurs rémunérés des quantités de sang allant jusqu'à 50 litres par an et par donneur. Ces derniers sont recrutés dans les couches les plus pauvres et marginales de la société, comprenant une forte proportion d'individus « à risques ». Cette pratique, dangereuse pour les donneurs (qu'elle épuise) comme pour les receveurs, est condamnée par l'Organisation mondiale de la santé, et de plus en plus contestée aux États-Unis mêmes.