Quel parcours pour ce fils d'ouvrier métallurgiste, qui fit ses études comme boursier ! Il entre en 1929, à dix-sept ans, à l'École normale supérieure (il est reçu premier !) et passe, à vingt ans, l'agrégation de philosophie. Il s'oriente vers l'ethnographie, fait plusieurs voyages en Amérique latine et y étudie les civilisations disparues, qu'il fera revivre dans ses livres : La pensée cosmologique des anciens Mexicains ; La vie quotidienne des Aztèques ; Les quatre soleils ; Archéologie et anthropologie ; Les Olmèques... Jacques Soustelle devient, en 1937, sous-directeur au musée de l'Homme. Il est alors antifasciste et collabore à l'Humanité. Il rompra avec les communistes lors de la signature du pacte germano-soviétique. En 1940, il est parmi les premiers à rejoindre le général de Gaulle à Londres. Le spécialiste des Aztèques se retrouve, à Alger, directeur des services secrets et du contre-espionnage. Après la Libération, le voilà ministre de l'Information, puis des Colonies. Le départ du général lui fait perdre son portefeuille, en 1946, mais il ne renonce pas à la politique. Il participe à la fondation du mouvement gaulliste, le RPF, et se fait élire député du Rhône en 1951.

Considéré comme libéral, il est nommé par Pierre Mendès-France gouverneur général de l'Algérie en 1955. Alors que les pieds-noirs ont tendance à voir en lui le liquidateur de l'Algérie française, il va s'en faire le défenseur le plus ardent, au risque de se perdre... Il perd en tout cas son poste en 1956. Après le retour au pouvoir du général de Gaulle, il fait un bout de chemin avec le plus illustre des Français : il est ministre de l'Information en 1958, puis ministre délégué pour les Départements sahariens en 1959, mais, opposé à la politique d'autodétermination en Algérie, il se voit retirer ses fonctions en 1960. C'est la rupture complète avec de Gaulle. Un mandat d'arrêt est même lancé contre lui. Il se réfugie en Italie et écrit L'espérance trahie.

Rentré en France à la faveur de la loi d'amnistie, Jacques Soustelle retrouvera même son siège de député du Rhône en 1973. Il poursuivra surtout ses chères études sur les civilisations qui ont sombré dans le néant.

Philippe Decraene

Claude Glayman

Roman

La littérature se penche sur son passé

Il n'est plus de mode de parler de « mode rétro », non point parce qu'elle est périmée, mais parce qu'elle s'est généralisée. En librairie, on a vu apparaître des collections, comme Imaginaire chez Gallimard et Cahiers rouges chez Grasset, qui réimpriment des œuvres publiées dans la première moitié du siècle en général, qui ont laissé une trace dans la mémoire lettrée et qui n'étaient plus disponibles dans le commerce. Œuvres choisies avec soin pour leur qualité singulière, alors que les réimpressions dans les collections de poche doivent obéir à la loi des grands tirages, pour des questions de rentabilité.

Ainsi, le jeune lecteur de 25 ans voit paraître, à la vitrine du libraire, l'œuvre d'un écrivain qui a eu 25 ans il y a un demi-siècle et qui, comme Louis Guilloux avec la Maison du peuple pour ne choisir qu'un seul exemple, a gardé sa fraîcheur d'âme et d'écriture. Cela peut assurer une continuité de la culture, que l'enseignement et les instances officielles dévorées de snobisme ont tendance à négliger.

Souvenirs autobiographiques

Plus significatif encore, évidemment, est le retour sur eux-mêmes et sur leur passé que pratiquent tant d'écrivains. Jamais comme à notre époque qui se méfie de la subjectivité, on n'a vu paraître tant de Mémoires, de journaux intimes, de correspondances, d'autobiographies et de romans autobiographiques. Il ne s'agit pas seulement pour les lecteurs d'une curiosité indiscrète ou obscène, et André Malraux avait tort de ne voir qu'un misérable tas de secrets là où l'André Malraux d'un autre temps eût peut-être discerné la poursuite angoissée du secret de la condition humaine.

Écartons les Mémoires qui, même quand ils ont une véritable valeur littéraire, comme le livre de Raymond Aron, Mémoires d'un demi-siècle, relèvent le plus souvent d'autres chroniques de ce volume. Mais voici un très beau livre de l'un de nos plus grands romanciers, La lumière du monde de Julien Green (qui a publié en même temps une vie de saint François d'Assise). C'est un nouveau volume de son journal et qui porte sur des années récentes. Cela nous donne l'impression d'une conversation avec un homme d'expérience et de sagesse, qui réfléchit sur les événements sans jamais se départir de sa rectitude et qui sait que les choses vues en voyage, les œuvres d'art, les lectures sont aussi les événements dont il nous partage la saveur. Alors que jadis le Prince de ce monde l'occupait davantage, il chante aujourd'hui la Lumière. Et la plus belle qualité de ce livre risque de passer inaperçue, c'est sa transparence.