Ces fantômes, il est vrai, jouent sur du velours puisqu'ils sont adaptés d'un roman de Simenon, et Chabrol, capable du pire et du meilleur, s'est visiblement ébroué avec délectation dans son atmosphère insidieusement étouffante, où Serrault, une fois de plus, est remarquable. C'est, encore, Simenon qu'a choisi Pierre Granier-Deferre pour célébrer le retour au cinéma d'un de nos plus grands monstres sacrés, Simone Signoret. Dans Étoile du Nord, face à un Noiret égal à lui-même — c'est-à-dire parfait —, elle est, en ménagère modeste et affairée, éblouie par les récits exotiques de son pensionnaire criminel dans un moment d'absence, extraordinaire.

Aussi expansif et mouvementé que cette Étoile du Nord est secrète et feutrée, Le grand pardon, deuxième film — et coup de maître commercial — d'Alexandre Arcady est, lui aussi, à classer dans le rayon des policiers. Mais Arcady préfère jouer sur le folklore et la truculence, celle des pieds-noirs, pour évoquer la guerre des gangs du milieu parisien. Roger Hanin y éclate ici, dans le rôle d'un irrésistible parrain à la française, mélange haut en couleur de pater familias débordant de tendresse et de truand intraitable.

À noter enfin, preuve s'il en fallait que l'année se place sous le signe du polar, que trois débutants ont choisi de fourbir leurs premières armes en compagnie des tueurs, truands et détectives en tous genres : Jean-Luc Miesch, avec une adaptation de Leo Malet, Nestor Burma détective de choc, où Michel Serrault, qui sait décidément tout faire et qui l'a démontré amplement cette saison, campe un savoureux privé, punk pour les besoins de son enquête ; Boramy Tioulong, inspiré par Max Gallo pour dénoncer, dans Boulevard des assassins, les magouilles sordides ou même criminelles d'une municipalité de la Côte d'Azur — qui s'incarnent avec éclat, bien que sans nuances, dans la composition d'un Victor Lanoux très convaincant en maire vulgaire et impitoyable ; et, surtout, Nicolas Ribowski, qui, lui, sur un scénario original mitonné par Georges Conchon, oppose dans Une affaire d'hommes Claude Brasseur à Jean-Louis Trintignant, subtilement ambigu à son habitude, avec une maîtrise rare pour un premier film.

À la frange du policier, mais utilisant également Victor Lanoux et son épaisseur facilement vulgaire pour incarner un véritable monstre d'amoralité, Jean-Pierre Mocky a donné libre cours à ses tendances lourdement provocatrices en adaptant le roman déjà largement agressif de Frédéric Dard Y a-t-il un Français dans la salle ? Cet étalage de turpitudes nauséeuses a ses fans, mais sa complaisance racoleuse dans le sordide appuyé passe parfois les limites. Même si le tendre Mocky (dont il vaut mieux, par ailleurs, oublier la catastrophique incursion dans le domaine du fantastique avec son Litan sans queue ni tête) a voulu, en contrepartie, plaider la rédemption de son triste héros par l'amour.

Comédie et amour

L'amour, bien sûr, le cinéma ne l'a pas oublié cette année. Pour démontrer, évidemment, sinon il n'y aurait pas d'histoire, qu'il ne rime pas avec toujours...

Amours gaies dans le très joli film d'Élie Chouraqui, Qu'est-ce qui fait courir David ?, une charmante comédie à la française mâtinée d'un humour juif à la new-yorkaise, tendresse en plus, et dans l'aimable Tête à claques de Francis Perrin, qui révèle Fanny Cottençon, une petite nouvelle également remarquée dans Étoile du Nord. Amours tristes dans Hôtel des Amériques, où André Téchiné semble avoir, en dirigeant Catherine Deneuve et Patrick Dewaere, perdu sa personnalité originale pour sombrer dans le feuilleton mélo, ou dans Josepha, premier film du romancier-scénariste Christopher Frank qui, en revanche, a très bien rendu, avec Claude Brasseur et Miou-Miou, l'univers grisâtre des comédiens sans contrat.

Amours impossibles dans Beau-père, de Bertrand Blier, le meilleur rôle, cette année, de Patrick Dewaere, et dans La femme d'à côté, de François Truffaut, une sorte de tragédie intimiste où la pudeur, la tendresse et le désespoir en demi-teinte du réalisateur, remarquablement exprimés par un Depardieu aussi convaincant ici que dans ses rôles de brute, sont malheureusement trahis par Fanny Ardant, froide et maniérée dans son rôle de femme fatale.