En Europe occidentale, les mutations au détriment du français sont encore plus impressionnantes. Pour 46 000 élèves qui étudient le français dans les écoles secondaires d'Allemagne occidentale, 2 millions apprennent l'anglais ! 41 % des Néerlandais parlaient l'anglais en 1975, 47 % l'allemand, 16 % seulement le français. En Espagne, l'anglais a définitivement supplanté le français dans les écoles au début des années 70. Même l'Italie a tourné casaque : ce sont surtout les élèves qui ont échoué à leurs premiers examens d'anglais qui se rabattent sur le français.

En France même, 85 % des élèves choisissent l'anglais comme première langue étrangère, au détriment des autres langues européennes ou mondiales. La part de l'italien au lycée est passée de 5 % il y a quelques années à 0,3 % en 1979. Plus de doute : l'anglais n'est plus seulement première langue de travail dans les organismes internationaux ; il s'impose aujourd'hui comme langue véhiculaire internationale. Le marché d'un livre de langue française est de 7 à 8 fois plus étroit que celui du même ouvrage publié en anglais.

Même l'espagnol, devenu grâce à l'immigration et au boom démographique des communautés hispanophones la 2e langue des États-Unis (60 % des écoles US l'enseignent comme 1re langue étrangère), fait planer une menace sur le français.

Peau de chagrin

Certes, le français demeure (de même que l'espagnol et l'anglais) pratiqué comme première langue sur les cinq continents. Plus de 40 pays et territoires, dont 27 en Afrique, 6 en Europe, l'utilisent comme langue maternelle ou l'ont adopté comme langue officielle. Mais il suffit d'analyser l'aire d'expansion du français au cours des trente dernières années pour constater qu'elle se réduit comme une peau de chagrin.

Dans les trois pays européens où le français est l'une des langues officielles, le poids des germanophones ne cesse de s'accroître. C'est le cas au Luxembourg, où le français est en concurrence avec l'allemand ; en Suisse, où l'on dénombre 1 250 000 francophones, soit 18 % de la population, face à 64 % d'alémaniques ; en Belgique, enfin, où 4 400 000 francophones doivent compter de plus en plus avec 5 340 000 Flamands.

La crise démographique est certes la première cause de cette régression. En Wallonie, par exemple, le taux de natalité est tombé à moins de 1,5 enfant, très en deçà du seuil de renouvellement des générations.

La crise économique qui frappe les francophones contraste aussi avec le dynamisme des germanophones et confère à ces derniers une suprématie politique de moins en moins contestée.

En Wallonie, qui fut en 1850 le premier centre industriel européen après l'Angleterre, la crise des charbonnages et la restructuration de la sidérurgie ont porté un coup fatal à l'économie. Actuellement, 20 % seulement des chefs d'entreprise belges se trouvent en Wallonie. Conséquences socioculturelles : les grands journaux en langue française de Flandre (le Matin d'Anvers, la Métropole, la Flandre libérale) ont dû fermer leurs portes. Seuls subsistent deux hebdomadaires francophones.

Parmi les 50 premières entreprises suisses, quatre seulement sont domiciliées en Suisse romande. Entre 1977 et 1978, les offres d'emploi ont augmenté de 22 % dans la Confédération, mais ont diminué de 26 % en Suisse romande. Résultat : au Parlement fédéral, les questions les plus importantes sont traitées en allemand, même par les francophones.

Arabisation

Si en Europe la francophonie est refoulée par la vigueur économique des germanophones, en Afrique ce sont des phénomènes politiques qui provoquent une érosion des positions du français au profit des langues nationales et, en particulier, de la langue arabe.

Onze pays africains (sans compter les États septentrionaux du Nigeria) reconnaissent aujourd'hui l'arabe comme langue officielle. Parmi eux, 4 ont définitivement abandonné le français comme langue officielle, et 3, naguère exclusivement francophones, sont devenus bilingues arabe-français.

Ce déploiement de l'arabe est d'abord dû à la volonté des pays de culture arabo-islamique, devenus indépendants, de recouvrer leur personnalité culturelle. C'est le cas, par exemple, de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Mauritanie.