De manière plus générale, comme le reconnaît Alain Cissé, secrétaire générale de l'AIPLF, « la diffusion mondiale d'une langue reflète les rapports de force planétaires ». C'est la formidable puissance politique, économique, technologique des États-Unis qui propulse irrésistiblement la langue et la culture anglo-saxonnes, depuis les deux guerres mondiales. Washington et New York, devenue le siège des Nations unies, ont pris le relais de Londres, naguère capitale d'un immense Empire, qui avait déjà commencé à battre en brèche le français, notamment dans le domaine commercial.

La langue française souffre en outre de graves handicaps socioculturels. Comme le reconnaît en privé un responsable du HCLF, la production, l'innovation, l'exportation françaises et francophones sont médiocres ou inadaptées dans la plupart des domaines artistiques : littérature, musique, cinéma... Les livres ne représentent aujourd'hui que 0,29 % des exportations totales de la France. Avec les films et les disques, le pourcentage s'élève à 0,6 % seulement. Autre exemple significatif, 40 % du marché du disque à Abidjan (Côte-d'Ivoire) est aujourd'hui aux mains des anglophones d'origine nigériane, alors qu'autrefois les francophones (généralement zaïrois) y régnaient en maîtres absolus. « Même quand Paris prend l'initiative louable d'envoyer à Washington son Opéra, il le fait à la manière de Louis XV, sans se préoccuper d'alerter les mass media influents et les faiseurs d'opinion américains. D'où une audience limitée », déplore Alain Fantapié, secrétaire général du HCLF.

Enfin, l'attitude conservatrice, réactionnaire, de nombreux responsables qui sacralisent la langue française, refusent d'y inclure un grand nombre de termes nouveaux, notamment techniques, sous prétexte qu'ils n'ont pas acquis leurs lettres de noblesse, contribue à figer le français, à le rendre inapte à dénommer les réalités du monde moderne. Donc incapable de donner accès au développement.

Si ce blocage se poursuit, affirme le CILF, « le français connaîtra à la fin du siècle, en tant que langue internationale, un sort moins enviable que celui du grec ou du latin, qui ont pu se maintenir pendant deux millénaires parce que la civilisation n'avait pas, pendant cette période, substantiellement changé de forme ». Simultanément, il faut se préoccuper de la menace que peut représenter l'introduction massive de termes techniques anglo-américains dans la langue française.

Enseignement

L'effacement progressif du français ne se mesure pas seulement aux progrès de l'anglais dans la vie et les institutions internationales. La langue de Shakespeare, mais aussi le russe, l'espagnol, l'allemand remplacent de plus en plus le français comme première langue étrangère, dans la plupart des pays.

Dans la période de l'entre-deux-guerres, le français était encore à l'honneur en Europe (la Suède, par exemple, lui concédait des privilèges particuliers), en Indochine, en Afghanistan, en Turquie, en Syrie, en Égypte et en Éthiopie, notamment.

C'est la Seconde Guerre mondiale qui, en dévoilant la « perte de substance », en provoquant l'éclipsé de la France, a porté un coup très dur au français. L'Argentine abolit, en 1940, les privilèges du français dans l'enseignement universitaire. Toute l'Amérique latine suit son exemple.

Débarrassée du mandat français, la Syrie opte progressivement, après 1946, pour l'anglais comme première langue étrangère, par francophobie puis par réalisme. L'Égypte, où le français s'était maintenu vaille que vaille dans la bourgeoisie et dans les milieux intellectuels, fait de même dans les années cinquante.

Au fur et à mesure qu'ils passent dans l'orbite politico-économique américaine, Éthiopie, Turquie, Viêt-nam, Cambodge et Laos remplacent le français par l'anglais comme langue de communication internationale. Mais, à Addis-Abéba comme à Kaboul, le russe fera son apparition dans la deuxième moitié de la dernière décennie, avec l'implantation des conseillers ou des unités soviétiques.

Europe

Dans les mêmes conditions, la langue russe s'est déployée depuis 1948 en Europe orientale, dans des pays comme la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, où l'enseignement du français avait pourtant été rendu obligatoire dans l'entre-deux-guerres. Grâce aux relations économiques très intenses avec la RDA et surtout avec la RFA, l'allemand, qui était très répandu avant 1919 dans ces trois pays, garde une position honorable. Seules dans les Balkans, l'Albanie, la Roumanie et, dans une certaine mesure, la Grèce maintiennent leurs préférences pour la langue de Molière.