Efficace également, Henri Verneuil, avec I comme Icare. Une dissection, relativement austère, des mécanismes utilisés par le pouvoir pour manipuler l'opinion publique et couvrir un crime en en faisant au besoin commettre d'autres. On en retient surtout la scène saisissante où, sous la direction d'un scientifique, deux hommes, deux individus moyens, servent de cobayes dans une expérience qui teste l'instinct de violence et le seuil d'obéissance. Belle interprétation d'Yves Montand, juge obstiné, patient et courageux, à la recherche de la vérité.

Les Français, cette année, ont-ils moins envie de rire ? Si l'on excepte Le guignolo, il faut descendre relativement bas dans la liste des succès de fréquentation pour trouver trois divertissements : C'est pas moi, c'est lui, gentille amusette ; On a volé la cuisse de Jupiter, où Philippe de Broca réunit dans une invraisemblable poursuite policière en Grèce le couple vedette de Tendre poulet, Annie Girardot et Philippe Noiret, et Courage, fuyons, où Yves Robert, moins en verve que d'habitude, esquisse le portrait d'un sympathique lâche, Jean Rochefort, aux prises avec une bien belle vamp, Catherine Deneuve. Quant aux Bronzés font du ski, suite logique des Bronzés de la saison précédente, toujours avec l'équipe du café-théâtre Le Splendid, ils n'ont pas vraiment fait courir les foules. Plus frappant encore dans le même registre : Claude Zidi lui-même, naguère recordman des entrées, est en nette perte de vitesse, du moins avec Bête mais discipliné, longuettes tribulations d'un deuxième classe doté des rondeurs benoîtes de Jacques Villeret, car Les sous-doués, chronique d'une classe de cancres, se hissent lentement vers le tableau d'honneur du box-office.

Seul, dans le domaine de la comédie un peu grinçante, jouant — de loin — la satire sociale contemporaine, François Leterrier a fait vraiment parler de lui avec l'adaptation d'une bande dessinée à succès — La course du rat, de Gérard Lauzier — qu'il a transformée en un Je vais craquer très... mode et assez bien accueilli grâce, notamment, à ses interprètes.

Romanesque

Les Français ont, en revanche, très bien aimé un somptueux mais bien sombre mélodrame, fidèlement adapté d'un classique britannique du siècle dernier, Tess, d'après Thomas Hardy. Une fresque à l'incontestable beauté formelle, curieusement signée Roman Polanski. Un Polanski qui a mis de côté son goût pour l'étrange, la violence et le morbide, pour tourner avec une sagesse exemplaire, presque compassée, des images aussi belles que la jeune héroïne, Nastassia Kinski.

Réalisation de prestige, mais dont le romanesque sans complexes a séduit. Plus que le volontaire souci de rigueur — dans la somptuosité — d'une autre grande entreprise de prestige, audacieuse et ruineuse mais qui reste l'un des événements de la saison : le Don Giovanni de Joseph Losey. Les plus grands interprètes internationaux, un décor grandiose, le Palladio, et le sublime opéra de Mozart, in extenso, joué, chanté, tourné en décors naturels : la gageure était de taille. Ce Don Giovanni marque l'année d'une pierre blanche.

Du reste de la production, on peut mentionner des comédies de mœurs comme La gueule de l'autre, comédie de Pierre Tchernia, avec Poiret et Serrault, L'associé, satire de René Gainville avec le même Serrault, L'empreinte des géants, tirée par Robert Enrico d'un roman d'Hortense Dufour sur la vie dans les chantiers de construction d'autoroutes, ou encore Le mors aux dents, de Laurent Heynemann, sur les dessous peu reluisants du monde des courses. Et, surtout, des comédies sentimentales comme Il y a longtemps que je t'aime, où Jean-Charles Tachella fait découvrir les joies de la séparation après vingt-cinq ans de mariage, avec Marie Dubois et Jean Carmet, et Chère inconnue, triste histoire d'un frère paralysé et d'une sœur solitaire à la recherche d'un amour épistolaire, où Moshe Mizrahi a eu la chance de compter sur trois grands interprètes, Delphine Seyrig, Jean Rochefort et, surtout, magistrale toujours, Simone Signoret.

Originalité

Quelques œuvres, enfin, se détachent du lot par l'originalité de leur ton. D'abord, diversement accueilli mais d'une maîtrise incontestable, l'étrange et grinçant Buffet froid de Bernard Blier, où Depardieu, décidément vedette, Carmet et Bernard Blier incarnent un trio amoral qui tue froidement.