La déception en Égypte est profonde. Un voyage éclair de Menahem Begin à Ismaïlia, le jour de Noël, ne rétablit pas la situation. Au cours d'une conférence de presse commune aux deux chefs d'État, Sadate confirme publiquement à Ismaïlia le désaccord entre Israël et l'Égypte sur le problème palestinien. Or, le rais ne peut se permettre de « trahir » complètement la cause palestinienne. Le grand espoir né le 19 novembre aboutit, un mois plus tard, à un constat d'échec relatif. Ce n'est pas encore la rupture, mais c'est déjà la brouille.

Échec

Le 11 janvier 1978, la commission militaire israélo-égyptienne se réunit dans un climat tendu : Sadate vient de déclarer qu'il ne peut accepter l'implantation de nouvelles colonies juives dans le Sinaï — considérée par lui comme une provocation. En même temps, Begin affirme qu'il les renforcera. La commission militaire ajourne ses travaux le 13 janvier. On reprend les mêmes thèmes à la commission politique, le 17 janvier, à Jérusalem. Là, coup de théâtre : prenant le monde à témoin de sa bonne volonté et de l'intransigeance israélienne, Sadate rappelle son négociateur. Toutes les négociations sont suspendues jusqu'à nouvel ordre. Certes, le président Carter déclare « illégales » les colonies juives en territoire arabe, mais c'est pour Sadate une bien mince compensation, puisque les pressions américaines sur Israël ne semblent pas devoir être décisives — ni même devoir s'exercer. En Égypte, l'amertume croît : Israël a refusé la main tendue et a préféré, pense-t-on, les territoires à la paix Sadate a donc perdu son pari. Va-t-il changer de stratégie et se préparer à la guerre ?

Auréole

Tant que l'Égypte ne rétablit pas de bonnes relations avec l'URSS — son seul fournisseur d'armes —, la chose est impossible. Certes, les États-Unis promettent de fournir à Sadate des armements défensifs, qui seraient payés par l'Arabie Saoudite. Mais la longue querelle de la livraison des avions F 15 américains à Riyad marque clairement les limites que le Congrès américain ne saurait franchir. La France serait-elle un meilleur partenaire ? Le 14 mars 1978, à Paris, les ministres de la Défense français et égyptien signent un accord-cadre de vente et de construction, en Égypte, de matériels militaires. Mais les futures usines d'armement, financées par l'OAI (Organisation arabe pour une industrie militaire) sont directement sous l'influence de l'Arabie Saoudite et des Émirats — et elles ne produiront pas avant les années 80. Tout revirement politique semble donc à peu près impossible à court terme. Faute de mieux, il convient de tenter de poursuivre la négociation. Mais, en Égypte, on sent bien que le cœur n'y est plus. La popularité de Sadate va-t-elle souffrir de cette désillusion ?

Curieusement, non. Le rais garde l'auréole de celui qui a osé et pris des risques pour la cause de la paix, même s'il n'a pas réussi. Au moment décisif, ni les étudiants ni les Frères musulmans n'ont finalement bougé. Pourtant l'extrémisme religieux existe. Il est durement réprimé après l'assassinat de l'ancien ministre des Cultes par la secte Al Takfir Wal Hegra en juillet 1977 : 175 personnes sont arrêtées dans les milieux intégristes. Pourtant, des tensions confessionnelles se produisent de nouveau dans le courant de juin, notamment en Haute-Égypte. Cette fois, des communautés chrétiennes sont vivement prises à partie par des groupes musulmans intégristes. Mais l'événement politique majeur reste la reconstitution du Wafd, ancien parti nationaliste qui avait été de 1919 à 1952 le principal parti de gouvernement égyptien. Cette résurgence inquiète Sadate, qui se voit pourtant plébiscité, comme à l'habitude, lors du référendum du 21 mai 1978, où il recueille 98,29 % des voix. L'Égypte approuve ainsi une série de six « principes démocratiques » qui permettent au pouvoir d'écarter de la vie politique les dirigeants des partis d'opposition, ceux notamment du Rassemblement progressiste et unioniste et ceux du néo-Wafd. Très rapidement, après l'entrée en vigueur des « principes », des listes de « proscrits » politiques sont publiées, comportant des centaines de noms, ce qui provoque l'autodissolution du néo-Wafd et pratiquement l'arrêt des activités du Rassemblement progressiste.