Une victoire de la gauche ? Beaucoup songent à un nouveau Grenelle : quelque chose qui changerait la physionomie sociale de la France en quarante-huit heures, comme cela s'était produit en 1936 avec les accords Matignon. En fait, les hypothèses faites avant les élections par les confédérations sont bien différentes et très révélatrices de leurs stratégies profondes.

« Les préoccupations syndicales seront les mêmes après les élections que maintenant », ne cesse de proclamer André Bergeron. Le secrétaire général de Force ouvrière, quel que soit le gouvernement, n'envisage pas un autre chemin que celui du syndicalisme tranquille, confiant dans l'efficacité de la politique contractuelle et tentant de la tester sur deux points, à ses yeux essentiels : la politique salariale et l'emploi.

Sceptique devant l'étendue des nationalisations envisagées par la gauche, Force ouvrière s'inquiète surtout de leur contenu. C'est ainsi que le projet de commissions d'atelier mis en avant par la CFDT, et repris par le PC puis par le PS, a un trop grand relent d'autogestion pour que FO ne s'en alarme pas.

Interrogations

Entre janvier et mars, plongée dans une réelle inquiétude, la CFDT s'interroge aussi bien sur la reconduction de la majorité que sur le succès de la gauche. « Nous ne serons pas les assistantes sociales d'un gouvernement de gauche », déclare Edmond Maire. Ainsi, si elle compte d'abord sur la négociation, elle rappelle surtout que ce sont les « luttes sociales qui sont le moteur du changement ». Depuis 1974, remarque la CFDT, nous vivons dans une période « surpolitisée ». Il s'agit de savoir si une erreur tactique n'a pas été commise ces dernières années en concevant l'action comme destinée principalement à marquer une opposition à la majorité gouvernementale et au patronat et non comme une offensive tous terrains destinée à « arracher des avantages divers ».

Décidé à jouer d'abord la carte du renforcement syndical, la CFDT souligne qu'il convient d'obtenir des résultats concrets. Cette priorité a deux conséquences tactiques. Tout d'abord, sans abandonner les actions nationales avec la CGT, il faut en premier lieu des actions dans les « centres réels du pouvoir ». Ensuite, il faut obtenir des résultats même partiels et non « tout attendre » d'un changement politique.

Pour la CGT, si la gauche unie accède au pouvoir, cela signifierait qu'un compromis aurait été trouvé entre le PS et le PC sur des points que la CGT estime essentiels. Dès lors, sans accepter a priori la paix sociale, la CGT ne se déclare pas hostile à la mise en place d'une politique de concertation. Mais, pour la CGT, le véritable problème concerne l'attitude à adopter en cas de formation d'un gouvernement socialiste homogène. Aussi, à plusieurs reprises, les dirigeants cégétistes accusent-ils le PS de chercher un soutien ouvrier pour gérer la crise du capitalisme. La France n'est pas l'Italie. La CGT ne veut pas devenir la CGIL. Elle ne veut pas se laisser aller à pareille « abdication ».

Le déblocage des négociations

Devançant de quelques heures l'ouverture du président de la République, dès le 20 mars, la CFDT demande à être reçue par Valéry Giscard d'Estaing. Elle accélère, par ce geste, un processus imaginé avec prudence par le chef ce l'État, et démontre auprès de l'opinion l'infléchissement de sa stratégie.

Méfiance

La CGT est d'emblée la plus méfiante. « Nous ne jouerons pas la comédie de la concertation dans l'opérette de la décrispation », souligne, devant le comité confédéral national, Georges Séguy. Si la centrale cégétiste réclame des négociations nationales sur certains thèmes (le SMIC et l'emploi notamment), elle reconnaît qu'un nouveau Grenelle ne serait pas la panacée et que des discussions doivent s'engager à tous les niveaux. Mais elle ne veut ni demi-mesures ni programme de Blois.

Sensiblement réorientée, la stratégie de la CFDT est simple : « Nous avons fait un acte symbolique, mais nous sommes prudents. » Si la volonté de la CFDT de parvenir à de « nécessaires compromis » avec le gouvernement et le patronat est évidente, encore faut-il qu'elle soit nourrie par des résultats tangibles. Lors de son entretien avec le chef de l'État, Edmond Maire définit deux attentes essentielles : une relance sélective de l'économie « accordant la priorité à la réduction des inégalités les plus scandaleuses » et le développement d'une pratique de négociations à tous les niveaux.