Restent les deux autres pôles théâtraux de la capitale : Chaillot et l'Odéon. Le premier n'a toujours pas retrouvé son équilibre, autour d'une salle contestée et d'un programme qui a souvent déçu. Ni Marc'O ni René Ehni, avec sa Jocaste alsacienne et panthéiste, n'ont gagné les suffrages d'un public réticent, et l'Omphalos Hôtel de Jean-Michel Ribes, pièce ambitieuse, poétique, un peu désordonnée, ne reflétait qu'imparfaitement peut-être le réel talent de son auteur.

Échec

Même relative déception à l'Odéon, où l'on retiendra surtout L'éveil du printemps, de Wedekind, qui démontrait une fois encore les qualités des jeunes interprètes frais sortis du Conservatoire, dirigés par l'un d'eux, nommé Pierre Romans.

Et, puisque nous en sommes à Wedekind, il faut citer pour (triste) mémoire l'échec de Lulu, malgré la présence de Jeanne Moreau, mal à son aise dans un personnage qui ne lui convenait manifestement pas et qu'un style expressionniste fort contraignant rendait encore plus difficile à imposer. Même chose pour Don Juan revient de guerre, d'Odon von Horvath, dont Marcel Bluwal avait fait une laborieuse rhapsodie dans l'esprit du style rétro à la mode.

Il est difficile de servir ce théâtre des années 20 qu'on redécouvre en ce moment. Seul y a réussi parfaitement un élève de Bernard Sobel, Yvon Davis. Son travail sur La foi, l'espérance et la charité, du même Horvath, prouvait qu'on peut être à la fois réaliste et raffiné. Il offrait pour cette oeuvre singulière deux niveaux de lecture, où toutes les catégories de public pouvaient trouver leur compte, ce qui est peut-être la solution prochaine du théâtre populaire. Au reste, Sobel lui-même applique avec intelligence la formule, qu'il fasse jouer à Gennevilliers un conte chinois revu et corrigé, comme Le pavillon au bord de la rivière, ou une tragédie classique, Le juif de Malte, de Marlowe, à la façon d'une bande dessinée, tout en respectant la tradition du théâtre de tréteaux.

Lyrisme

D'autres préfèrent y aller franc-jeu, sans trop chercher à prouver quoi que ce soit, se fiant à leur nature et à leur instinct, pour le plaisir de donner libre cours à leur goût des textes ronflants, qui sont un peu le bel canto du théâtre.

Ainsi a-t-on vu un Lorenzaccio, puis un Ruy Blas (sous un chapiteau de cirque dressé aux Tuileries), où le jeune Jean-Pierre Bouvier, dans un style à l'ancienne qui frôle l'odéonesque, s'abandonne fougueusement au lyrisme. Plus subtil. Denis Llorca recourt aussi à la force, au mouvement, à la violence pour imposer un Hamlet qui devient une manière de récit d'aventure d'un romantisme échevelé.

Mais, dans cet esprit, leur maître à tous est sans conteste Robert Hossein, qui adore les grosses machines, les effets soulignés et le grand spectacle sans complexe. Son Potemkine (au Palais des Sports, ce qui est déjà un choix) rivalisait avec le Châtelet plutôt qu'avec Eisenstein, et le texte de Georges Soria, d'un volontaire manichéisme, n'hésitait pas à forcer encore la note. Impossible, cependant, de ne pas reconnaître l'efficacité de l'aventure, de même que le solide réalisme de Des souris et des hommes, de Steinbeck, toujours mis en scène par Hossein, finissait par emporter l'adhésion des plus réticents.

Intimisme

À l'autre extrémité du clavier réaliste, c'est-à-dire dans l'intimisme un rien misérabiliste, mais toujours très juste de ton, très émouvant, et présenté le plus souvent avec un soin rigoureux, il faut citer un artiste comme Jacques Lassalle, animateur de la périphérie, qui a monté Un couple pour l'hiver, écrit par lui, et une pièce de l'Allemand F. X. Kroetz, Travail à domicile, sorte de fait divers sordide et quotidien, distancié avec adresse et cependant d'une déchirante vérité. Très inspiré par cette école allemande on doit noter aussi le nom de Jean-Paul Wenzel. Sa première oeuvre, Loin d'Hagondange, portrait en demi-teinte d'un couple de retraités, fut un des moments attachants de cette saison, et une découverte du Théâtre ouvert de Lucien Attoun, qui a pris un essor nouveau et national.