Plus intéressante est la rénovation systématique du répertoire de Diaghilev à laquelle il semble que l'Opéra s'attache : du Fils prodigue (créé par Balanchine en 1929 pour les dernières représentations des Ballets russes) au Petrouchka de Michel Fokine (qui n'a guère quitté l'affiche depuis 1911), se sont ajoutés cette année les Noces, dans la version originale de Bronislava Nijinskaia, créée en 1923, et L'après-midi d'un faune, de son frère, le célèbre Nijinski, œuvre qui fit un beau scandale en 1912. Le choix de ces œuvres sur le plan purement esthétique pourrait être discuté, elles ne sont guère accordées à la sensibilité moderne. Mais, sur le plan historique, la politique de l'Opéra est louable.

Vérité

Ces ballets sont, en effet, remontés ou par leur auteur ou par leurs collaborateurs immédiats, ce qui est une garantie d'authenticité. Ces œuvres sont magnétoscopées, notées par les répétiteurs selon leurs moyens artisanaux, en attendant que la notation scientifique soit introduite dans la maison. C'est donc un répertoire conservé dans sa vérité et non confié au hasard du souvenir des danseurs.

Il faut bien voir que, jusqu'à une période récente, les œuvres chorégraphiques se transmettaient par la seule tradition. La conséquence est que la quasi-totalité du répertoire est perdue, que les ballets, même les plus célèbres, ne sont que des restitutions dont on est assuré qu'elles ne peuvent guère être fidèles. Ainsi, la fameuse Giselle, dansée des milliers de fois à travers le monde, n'est pas conforme au livret de Théophile Gautier qui a été conservé. Que dire de l'enchaînement des pas pour lesquels il n'existe pas de document certain ? Les ballets archétypes auxquels se réfèrent obstinément les partisans de la danse académique ne sont jamais authentiques.

On souhaitera donc que l'Opéra développe logiquement l'effort qu'il vient de commencer et qu'il conserve dans leur intégralité les œuvres dont les auteurs ou les héritiers directs vivent encore.

Mais on souhaitera plus vivement encore que, bénéficiaire des trois quarts des crédits publics consacrés à la danse, il prenne enfin la tête de la création chorégraphique.

Jazz et pop

La fin des « étiquettes »

On avait coutume de considérer la pop music, il y a quelques années, comme une manifestation du démon, un catalyseur de forces mauvaises où l'on pouvait trouver pêle-mêle la drogue, le gauchisme, la liberté sexuelle. Aujourd'hui, les choses ont apparemment bien changé. Certes, il subsiste des archaïsmes, ici ou là. Mais, dans l'ensemble, la pop music, les jeunes, les cheveux longs et tout un contexte, auquel il faudrait aussi ajouter la moto par exemple, ne font plus peur. Mieux, ils attirent.

Pop-politique

Les partis politiques se disputent cette masse juvénile dans laquelle ils pensent trouver une clientèle électorale. Les communistes ont été les premiers à le comprendre. Dans leurs manifestations on pouvait entendre des groupes pop anglo-saxons dès 1970, groupes que les questions idéologiques touchaient fort peu. Pink Floyd fut le premier à bénéficier de cette nouvelle attitude du parti communiste. D'autres ont suivi : les Soft Machine (1971), les Who (1972), Chuck Berry (1973), les Kinks (1974), Tangerine Dream (1975). On ne sait si les jeunes qui viennent les écouter prêtent aussi une oreille aux discours des personnalités politiques. Depuis, les autres formations politiques ont compris l'intérêt de ces manifestations pour faire connaître leur programme. La pop music est-elle le sucre qui fait avaler la potion ? Certains chanteurs affirment un apolitisme, comme Eddie Mitchell, que l'on trouve tour à tour tête d'affiche chez les giscardiens et chez les amis de Libération.

Prétexte à rassembler les jeunes, la fête pop-politique est devenue, grâce aux importants bénéfices qu'elle peut rapporter, une source de revenus (non négligeable) pour des groupuscules ou des partis à petits moyens financiers. Le PSU en juin, avec Alan Stivell, et la Ligue communiste révolutionnaire en octobre, avec Doctor Feelgood et Captain Beefheart, ont connu un succès populaire assez considérable. Les chiffres vertigineux atteints par les ventes de disques pop depuis deux ans font penser que la couleur politique des acheteurs déborde largement toutes les frontières idéologiques. Le dernier Pink Floyd, par exemple, se vend à des centaines de milliers d'exemplaires.

Culture

Jadis confinées dans les bacs de quelques disquaires spécialisés, les œuvres des groupes anglo-saxons (et français, de plus en plus) se retrouvent maintenant partout, jusque dans les grandes surfaces. La pop pénètre partout. Depuis longtemps symbole culturel d'une certaine jeunesse, elle devient culture tout court, admise dans les Maisons du même nom. Et, lorsqu'il donne deux concerts à Paris au début de l'année 1976, c'est le TNP que Magma choisit. Il ne se passe plus de mois sans que la très sérieuse salle Pleyel résonne de guitares électriques et d'amplis, jadis prohibés en ces lieux. D'autres, plutôt voués aux festivals de théâtre ou de musique classique, accueillent désormais le rock le plus tonitruant et le plus dur, celui de Bad Company ou de Doctor Feelgood.