À côté de ces auteurs près des choses, et de la vie, François-Marie Banier, Hôtel du lac, Denise Bonal, Les moutons de la nuit, Yves Navarre, Histoire d'amour, ou Jean-Jacques Varoujean, pour ne citer que ces quelques nouveaux venus au théâtre, auxquels on peut ajouter Pierre Bourgeade, toujours très productif, font un peu figure de littéraires. Ils n'en ont pas moins du talent, à leur manière, et il faut se rappeler leurs noms apparus cette saison sur les affiches, ne serait-ce que pour prendre date.

Divertissement

Il serait injuste d'oublier, parce qu'ils servent un théâtre de pur divertissement, de bons faiseurs comme Barillet et Grédy, auteurs d'une Peau de vache taillée sur mesure pour Sophie Desmarets, et adaptateurs d'une comédie américaine, Même heure l'année prochaine, variation à deux personnages destinée à plaire au public bourgeois, de ce côté-ci de l'Atlantique aussi bien que de l'autre.

Et comment taire le curieux et permanent succès de Françoise Dorin, dont L'autre valse aura fait le plein d'une grande salle des Boulevards, malgré la réserve, pour ne pas dire la réprobation de la critique quasiment unanime, y compris celle qui d'ordinaire défend cet auteur ? Jamais le fameux divorce entre les professionnels du théâtre et les spectateurs ne se sera manifesté avec une évidence aussi éclatante, puisqu'il s'agissait d'une œuvre qui n'était vraiment pas d'avant-garde.

Au reste, où commence l'avant-garde et où s'arrête-t-elle ? Wolinski, en 1968, ne voulait pas mourir idiot, avec une verve grinçante très contestataire. Le voici déjà curieusement rangé, même si Le roi des cons garde, dans le titre, un souvenir de son insolence passée. Son public n'aura guère été différent de celui de Françoise Dorin, signe d'une récupération mirobolante qui a de quoi surprendre, sinon inquiéter, suivant le point de vue où l'on se place.

Rigueur

Seuls restent fidèles à une esthétique de recherche ou de rigueur des gens comme Roger Blin (Boesman et Lena), Philippe Adrien (L'effet Sade), ou Michel Puig, qui a collaboré avec Michel Lonsdale aux Fragments pour Guevara de Pierre Bourgeade (mais il ne restait pas grand-chose du texte originel), et avec Catherine Dasté pour Le rêve du papillon, conte chinois très bizarrement transformé en concerto de miaulements. En vérité, nous ne citerons ici que ces quelques noms, parmi des centaines d'autres, car l'avant-garde est devenue la tarte à la crème du théâtre, et le plus souvent l'alibi d'une grande confusion très déroutante.

Pour une dizaine de recherches intéressantes comme celle de Pierre Friloux avec ses Souvenirs d'en face, que de faux-Grotowski, que de sous-Brook qui périront noyés par l'ennui qu'ils sécrètent, ou asphyxiés par leur propre pédanterie ! Quitte à s'inspirer des exemples étrangers, pourquoi choisir ceux qui ne sont pas les meilleurs ? Le Living, revenu à Bordeaux pour une brève tournée, a bien déçu ses admirateurs : il ne semble pas avoir évolué depuis dix ans qu'il existe. Même impression pour le Bread and Puppet, hôte de Nancy, et dont les mystères, toujours fascinants par moments, paraissent déjà d'une conception un peu ancienne. Quanta l'étrange course automobile qu'Aristophane a inspirée à Ronconi, sous le titre d'Utopia, qu'en dire ?

Étrangers

Mais il est vrai, cependant, que l'on doit à des metteurs en scène ou à des troupes venues d'ailleurs les soirées les plus exaltantes de l'année. Valle-Inclan, présenté par Victor Garcia (et joué par Nuria Espert) atteignait parfois à une grandeur presque claudélienne, tandis qu'Andrei Serban, quoiqu'un peu gâté par le show à l'américaine, apportait aux Troyennes un souffle sauvage, d'un érotisme un rien provoquant, mais efficace, et souvent superbe.

On se souviendra également, avec une émotion particulière, de An die Musik, par le Pip Simmons Group, évocation intense, à la limite du supportable, du bagne nazi, insidieuse accusation des spectateurs eux-mêmes, transformés en témoins, en voyeurs, presque en complices, au-delà du théâtre.

Mais ce sont les Italiens, avec Giorgio Strehler, et les Anglais, avec Terry Hands, qui nous ont offert les deux plus belles leçons d'intelligence, de force et de foi, sans s'éloigner du droit-fil classique. S'enthousiasmer pour Goldoni, avoir une fois de plus l'impression de redécouvrir Shakespeare, alors que notre monde est si loin des leurs, c'est vraiment la preuve par le neuf de talents hors du commun. Il campiello, charmante farce populaire vénitienne, touchait à la perfection dans la poésie, la tendresse, l'acuité, ouvrant à l'Odéon une saison qu'allait clore, à la fin du printemps, un magistral Henry V, modèle de fermeté dans le naturel et la fidélité au texte.