D'abord ce mal qu'on a vite appelé le mystère Brejnev. Des rumeurs courent sur sa santé dès l'automne. Elles se précisent le 30 décembre. Un communiqué annonce, sans explication, l'ajournement du voyage qu'il doit faire au Proche-Orient. Il peut tout aussi bien s'agir de la confirmation des divergences avec Sadate, que Moscou soupçonne de tiédeur à l'égard du socialisme, que d'une réelle maladie. Néanmoins, malgré une absence de quarante-cinq jours, officiellement attribuée à un « refroidissement », Brejnev reprend ses fonctions (apparemment en bonne forme) le 13 février pour recevoir Harold Wilson. Trois mois plus tard, le secrétaire général du PC disparaît de nouveau pendant trente jours, mais le 15 juin il convoque plusieurs journalistes et lance à l'un d'eux : « Je me sens bien. Ça ne se voit pas ? »

Il faut dire qu'entre-temps, et malgré diverses supputations sur l'éventuelle relève à assurer, le cas Chelepine a été réglé. Chelepine (benjamin à 56 ans du Politburo), ancien chef de la police politique soviétique (KGB), s'était peu à peu affirmé comme le leader de la tendance dure. Son exclusion du bureau politique — ou plutôt sa démission —, acceptée par le plénum du Comité central réuni le 16 avril, puis son éviction, le 22 mai, de la direction des syndicats marquent une importante victoire personnelle de Brejnev et de sa volonté de détente et de coopération avec l'Occident. Si une opposition à la coexistence semblait s'être fait jour à la fin de l'année, la reprise en main devient indubitable après cette session du Comité central. Outre la déposition de Chelepine (et la décision de convoquer le 25e Congrès pour le 24 février 1976), le Comité central en profite pour rendre hommage, par la voix de Gromyko, à la « politique de paix » de Brejnev dont il demande expressément la poursuite.

Évolution

La modification du système du passeport intérieur (annoncée le jour de Noël et qui entrera en vigueur à partir du 1er janvier 1976) est sans doute l'événement de l'année le plus marquant pour le citoyen soviétique. Surtout pour le travailleur des kolkhozes (fermes collectives) ou des sovkhozes (fermes d'État). Jusqu'alors cette pièce, comparable à une carte d'identité nationale (et que devront posséder d'ici à 1981 tous les Soviétiques âgés de plus de 16 ans), n'était pas délivrée aux habitants des campagnes. Conséquence : démunis du passeport, les ruraux ne peuvent obtenir le droit de résidence ou de travail dans les villes, ne peuvent changer leur statut de paysan en celui d'ouvrier. Autre modification : le document (qui ne portera plus mention de la profession) sera renouvelable deux fois (à 25 et 45 ans) au lieu de tous les dix ans.

Changement d'orientation qui est peut-être à rapprocher de la volonté marquée du gouvernement d'encourager le développement des villes moyennes et d'accorder la priorité à la croissance des cités en milieu rural. L'objectif actuel porte sur 3 000 agglomérations.

L'élévation du niveau de vie (le revenu réel par habitant a augmenté de 4,2 % en 1974) provoque un phénomène qu'on n'attendait pas de sitôt : l'URSS commence à s'installer dans la société de consommation. L'automobile, par exemple, n'est plus, comme il y a quelques années, réservée aux hauts dignitaires du régime. En 1974, 1 200 000 voitures ont été fabriquées ; en 1975, la production doit atteindre 1 350 000 unités. Conséquence : des embouteillages à Moscou, où l'on compte 200 000 voitures (mais seulement 20 stations-services !). Les prix cependant font que l'automobile reste un rêve pour beaucoup. La moins chère, la Zaporojetz, coûte environ 25 000 F, alors qu'un OS gagne entre 800 et 1 000 F par mois, un médecin ou un ingénieur entre 900 et 1 100.

La mode, qui s'occidentalise, est un autre signe de cette évolution. Il y a peu encore, elle était considérée comme « une survivance pure et simple du capitalisme », et tissus, coloris, façon faisaient le désespoir des jeunes. On voit désormais de plus en plus de paysannes en minijupes, de filles et garçons des villes en blue-jeans. Mieux : ces mêmes jeans vont être fabriqués en URSS. Le ministre de l'Industrie légère annonce, en mai, que d'ici à douze mois 20 millions de pantalons, 5 millions d'ensembles seront fabriqués. Ce qui devrait mettre le jean made in URSS à un prix plus abordable ; le Levis se vend aujourd'hui entre 500 et 700 F. Détail significatif : des instructions ont été données pour que la toile ait ce bleu américain qui fait sa renommée et son chic.