Les élections auront-elles seulement lieu ? C'est l'inquiétude dans les milieux politiques. « Oui, le climat est celui d'une guerre civile », s'écrie Sa Carneiro, dirigeant du PPD. Tandis que Mario Soarès avertit : « Il y aura une tragédie si le PC ne joue pas le jeu de la démocratie. »

Dans cette atmosphère irrespirable éclate le drôle de putsch du 11 mars : quelques parachutistes et deux vieux T.6 attaquent la caserne du 1er régiment d'artillerie légère (unité appartenant au COPCON). L'affaire est réglée en deux heures. La victoire reste à la légalité révolutionnaire et à Otelo de Carvalho, que l'on compare à Bonaparte. La foule descend dans la rue pour acclamer les vainqueurs avec des drapeaux rouges.

Mais cette fois, Spinola, compromis, doit prendre le chemin de l'exil. Des centaines de personnes fuient ou sont arrêtées. La panique règne dans les rangs de la droite, des modérés et même chez les socialistes.

Profitant de ce coup d'État manqué (et tellement ambigu), les militaires décident l'institutionnalisation immédiate de leur mouvement. Désormais, l'organe suprême sera le Conseil de la révolution (qui remplace la Commission de coordination, la Junte de salut national et le Conseil d'État), auquel sera subordonnée une Assemblée du MFA, comptant 240 officiers, sous-officiers et soldats. Maintenant qu'il détient tous les pouvoirs, le MFA passe à l'action et il commence par interdire trois partis politiques, nationalise les banques (un peu plus tard on nationalisera une trentaine d'industries de base), arrête les grands hommes d'affaires et remodèle le gouvernement, où il va intégrer des éléments du MDP (parti proche du PC), à la grande fureur des socialistes.

Mais les élections auront-elles lieu ?

Elles auront lieu. Le 25 avril, date limite que les capitaines avaient fixée, en promettant, au soir de leur coup d'État de 1974, une consultation dans un délai d'un an.

Cependant, avant d'arriver à cette date, les militaires vont encore exiger des partis en compétition qu'ils signent une plate-forme d'entente soumettant complètement la future assemblée au MFA. De plus, ils vont préconiser le vote en blanc.

Enfin le grand jour est là. À la surprise générale, le peuple portugais que l'on prétendait ignorant et incapable de faire un choix politique, vote en masse (91,73 %). Mais le plus grand étonnement est provoqué par le raz de marée socialiste, qui enlève 37,87 % des suffrages, suivi par le social-démocrate PPD (26,38 %) tandis que l'on assiste à une déroute des communistes (12,53 %) et que le vote blanc, recommandé par les militaires, réunit un score ridicule (6,94 %).

Le PS n'aura pas achevé de fêter sa victoire que déjà le résultat est contesté par l'armée et le PC, qui affirment que ce vote n'a aucun sens, que le peuple est mal informé et que, de toutes façons, tout cela n'a pas grande importance. Et tout de suite on va s'efforcer de rabattre l'impudent caquet du vainqueur.

Dès le 1er mai, des hommes de main de l'Intersyndicale empêchent Mario Soarès de gagner la tribune d'honneur de la manifestation populaire, dans laquelle se pavane Alvaro Cunhal aux côtés du président Costa Gomes et de Vasco Gonçalves. Protestations et démonstrations de masse du PS.

Récidive le 19 mai où des typographes de l'Intersyndicale séquestrent le directeur du quotidien socialiste Republica. Les militants du PS manifestent à nouveau. Cette fois, les militaires prennent le parti des ouvriers communistes et ferment carrément le journal. Les dirigeants socialistes protestent, accusent les communistes. « Provocation », répondent ceux-ci. Et les militaires menacent de supprimer les partis (et l'Assemblée élue) s'ils ne cessent pas leurs querelles.

Ainsi le puissant PS est-il réduit à l'impuissance. Le scandale est grand. Il l'est encore plus à l'extérieur, où l'on est désormais convaincu des inclinations dictatoriales et marxistes du régime du MFA. Le général Vasco Gonçalves viendra à Bruxelles, lors d'une réunion de l'OTAN (fin mai), pour réfuter devant le président Gerald Ford les accusations formulées contre « un petit pays qui cherche ses propres voies vers la liberté ». À son tour, le président Costa Gomès accomplit un voyage en France (le 5 juin) et en Roumanie, afin de plaider la cause du nouveau Portugal.