Alors que personne ne s'y attendait, les militaires cédaient volontairement le pouvoir aux civils dans la soirée du 23 juillet 1974. Un bref communiqué annonçait que « les forces armées grecques ont décidé, dans les circonstances exceptionnelles que traverse le pays, de remettre le pouvoir à un gouvernement civil ». Arrivé dans la nuit du 23 au 24 juillet à Athènes, où il avait été rappelé de son exil parisien, l'ancien président du Conseil Constantin Caramanlis se chargeait de former un cabinet représentant les principales forces politiques, celles-là mêmes qui avaient résisté à la dictature militaire.

Coup fatal

La dictature était tombée, en quelque sorte, d'inanition. Impopulaire à l'intérieur, discréditée et isolée à l'extérieur, malgré le soutien des États-Unis, singulièrement affaiblie par les dissenssions au sein de l'équipe dirigeante, elle ne parvient plus à assumer les charges d'un pouvoir qui lui échappe déjà virtuellement. L'aventure chypriote porte au régime de la révolution nationale un coup fatal.

Il est vrai que Mgr Makarios avait placé les chefs de la junte devant un dilemme redoutable. L'ultimatum qu'il leur adressa le 5 juillet, en les sommant de retirer la quasi-totalité des officiers grecs encadrant la garde nationale (l'armée) chypriote, ne leur laissait le choix qu'entre la capitulation et le recours à la force. Ils décidèrent de choisir cette dernière voie en escomptant que la liquidation physique de l'ethnarque leur permettrait d'imposer leur loi à Nicosie, sans risques. En effet, Makarios mort, sa succession aurait été assurée d'une manière formellement constitutionnelle : le deuxième personnage de l'État, le président du Parlement, Galfcos Clerides, aurait accédé à la magistrature suprême sans provoquer des complications internationales.

La fuite de l'ethnarque, le 15 juillet, le jour du coup d'État, réduit à néant les calculs des dirigeants d'Athènes, tout autant que l'invasion turque qu'ils n'avaient pas prévue.

La mobilisation générale, qui s'accomplit dans le désordre, aggrave l'isolement et paralyse le régime militaire. L'afflux des réservistes, hommes de troupe et officiers, transforme radicalement la physionomie politique des forces armées, que les agents de la junte ne parviennent plus à contrôler. La perspective d'une guerre gréco-turque qui aurait immanquablement tourné à la catastrophe incite le chef de l'État, le général Phaedon Ghizikis, et ses compagnons à consulter les principaux leaders politiques du pays avant de faire appel à Constantin Caramanlis. Les trois piliers du régime, la junte, les forces armées et les Américains, s'effondraient ainsi sous l'effet du « séisme chypriote ».

Amnistie

S'étant engagé à rétablir la démocratie, Caramanlis va vite en besogne : il proclame une amnistie générale et libère tous les prisonniers politiques dès le 24 juillet ; il restitue la nationalité à ceux qui en avaient été privés ; il autorise le retour des exilés ; la censure sur la presse est abolie et tous les partis politiques, y compris ceux de l'extrême gauche, reprennent leurs activités au grand jour ; la Constitution de 1952 est remise en vigueur ; tous les préfets et les hauts fonctionnaires, de nombreux enseignants nommés arbitrairement sous le régime déchu sont remplacés par des titulaires légitimes ou des anciens résistants.

D'une manière générale, l'épuration demeure très limitée, surtout dans les rangs de l'armée et de la police, tandis que le châtiment des responsables de la dictature se fait attendre. Prudent, Caramanlis ne veut pas provoquer une levée de boucliers parmi ceux qui sont capables de donner un brutal coup d'arrêt à son expérience. Se présentant comme « l'homme de la réconciliation nationale », il fait valoir que l'unité du pays est indispensable pour affronter le péril extérieur, celui d'une éventuelle confrontation avec la Turquie au sujet du conflit chypriote.

Certes, Caramanlis met à la retraite un nombre restreint d'officiers supérieurs et nomme des hommes de confiance à la tête des forces armées et de la police, mais ce n'est que le 23 octobre, soit trois mois après son accession au pouvoir, qu'il se décide à faire arrêter les principaux chefs de la junte, lesquels sont inculpés le 29 décembre de haute trahison. Le général Dimitrios Ioannidis, l'âme de la dictature, est arrêté le 14 janvier 1975. Après la découverte d'un complot dans l'armée, le 24 février, et les puissantes manifestations populaires dirigées contre les États-Unis et l'OTAN qui se déroulent les jours suivants, l'épuration s'accélère, sans toutefois atteindre l'étendue et la profondeur souhaitées par les partis de l'opposition, qui accusent l'équipe au pouvoir de complaisance à l'égard des fascistes et des Américains.

Élections

Caramanlis n'a pas rompu avec la droite archaïque. Le parti Nea Demokratia (Nouvelle Démocratie), qu'il fonde le 28 septembre, rassemble des éléments allant des collaborateurs passifs de l'ancienne dictature aux résistants démocrates, en passant par les monarchistes conservateurs. D'où l'ambiguïté de sa politique, qui se veut tout à la fois favorable aux catégories privilégiées de la grande bourgeoisie et aux classes défavorisées.